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arbre, en attendant que les cendres fussent éteintes et qu’ils pussent les jeter dans le fleuve et s’en retourner. De notre côté, nous nous en revînmes tristes et abattus du spectacle que nous avions vu. »

En vérité, ces horreurs sont empreintes d’une majesté sombre qu’on ne peut nier. Ce qui frappe dans les deux tableaux que nous venons de présenter au lecteur, c’est la plénitude dans la perversité. Les caractères sont achevés dans leur monstruosité, il n’y a rien à y ajouter. On dirait des productions frénétiques enfantées par le génie de la vie dans un accès de délire, mais qui ont conservé dans leur démence l’unité et l’harmonie prescrites par les lois de l’art. Ce qui étonne le plus dans ces caractères, c’est l’implacable logique avec laquelle l’âme humaine est allée jusqu’au bout d’elle-même : pas d’hésitation, de remords, pas de combat peureux de la volonté contre l’instinct, ou de l’instinct contre la fatalité. De même que la nature n’éprouve aucune hésitation à faire des monstres, l’âme n’éprouve aucune hésitation devant le crime ou la destruction : elle se conforme sans crainte aux conditions qui lui sont données. Telle est l’immorale obéissance des Hindous au milieu dans lequel ils se développent, obéissance qui leur a permis cependant de représenter les divers instincts de l’âme humaine avec une abondance de vie, une énergie d’expression et un calme d’allure qui ne se sont retrouvés nulle part ailleurs.

Ce monde est immoral, mais il possède sa beauté ; le moraliste en est troublé et étonné, l’artiste amoureux des formes et des grandes expressions peut en être ravi. Que nous voilà loin de notre monde européen, où la nature n’est jamais obéie sans réserve, où ses conseils ne sont jamais suivis sans regrets, où la volonté, dans ses luttes incessantes, a creusé l’âme jusque dans les profondeurs où vit la conscience, dont nous apercevons l’œil menaçant aussitôt que nous nous penchons sur l’abîme de notre être ! Mais, pour ne pas sortir de l’Orient, combien nous sommes loin du monde musulman ! Combien ses superstitions inoffensives sont pâles, ridicules et ennuyeuses à côté de ces superstitions terribles ! Que signifient, à côté des sutties et des autels de la déesse Kali, les superstitions de la secte des bohras, qui se font remettre par leurs prêtres, pour chacun de leurs morts, un certificat de bonne vie et mœurs adressé à l’archange Gabriel, avec prière de décerner en paradis une place convenable à l’âme bienheureuse ? Combien leurs déniches paraissent radoteurs, leurs ascètes effacés à côté des brahmanes et des contemplateurs hindous ! Il y a entre eux la différence qui sépare la dévotion modérée de la folle religieuse, et une ode enthousiaste d’un livre de sentences. Nous allons placer sous les yeux du lecteur deux portraits de saints orientaux, un saint musulman, un