Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/423

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sentant de ce que les races orientales ont de meilleur, comme le type de l’honnête homme musulman en un mot, est malgré tout une créature d’un ordre moral inférieur. L’abaissement, l’infériorité de la race à laquelle il appartient se trahissent à chacune des pages de cette autobiographie. Arrêtons-nous donc devant lui, puisqu’il nous permet jusqu’à un certain point de mesurer, sans descendre jusqu’aux régions du crime et de la superstition, l’abaissement de l’Orient. Cet honnête homme est d’une indigence morale extrême. L’âme ne se meut pas, et se montre non-seulement incapable d’activité, mais même d’une contemplation large et soutenue. Il ne voit que des détails, ne les voit qu’une minute, et ne peut mettre d’accord deux idées. Les deux vices ou, si l’on aime mieux, les deux privations morales qui ont empêché la civilisation orientale de se développer, qui l’ont pétrifiée et frappée de stérilité, — l’absence d’expansion et l’absence d’assimilation, — se découvrent dans chacune de ses paroles. Avez-vous remarqué dans le passage que nous avons cité sur l’état du mahométisme ce que nous appelons l’indigence morale sous l’humilité pieuse avec laquelle Lutfullah se soumet aux desseins de la Providence ? La religion musulmane, qui est chère à Lutfullah, tombe en poussière ; mais qu’y peut-il faire ? Pauvre individu, misérable intelligence, peut-il sonder les secrets de la destinée ? Que la destruction ait donc son cours ; cela excitera la tristesse, mais non pas l’indignation de Lutfullah. Quant à lui, il suivra docilement les sentiers où ont marché avant lui des millions d’hommes, tout simplement parce qu’ils y ont marché. Il ne lui vient pas même à l’esprit de se dire que si sa mosquée est détruite, il logera parmi les ruines, et qu’il doit en conséquence la défendre. Ne rien faire et laisser faire, telle est sa devise morale invariable. Il a eu sous les yeux un spectacle imposant et propre à faire réfléchir. Il a vu les hommes blonds, les Faringis, établis dans son pays et gouvernant d’inertes multitudes au moyen d’une poignée de soldats. Toutes les réflexions que lui inspire ce spectacle, c’est que probablement le Tout-Puissant n’a point permis sans motifs aux habitans de cette île microscopique de gouverner le vaste empire de l’Inde ; mais quels sont ces motifs ? Lutfullah ne songe pas même à se le demander ; du reste, il accepte la domination anglaise sans surprise ni indignation. Quoiqu’il parle sans cesse de sa chère patrie, il ne s’émeut pas plus de la voir aux mains de l’étranger qu’il ne s’est ému de voir sa chère religion tomber en ruine. Cet homme a une religion et une patrie ; il voit l’une et l’autre lui échapper sans étonnement, sans colère, sans un mot qui trahisse la passion ou seulement un vif attachement.

Lutfullah est un lettré ; il a passé sa vie à réfléchir : eh bien !