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aux adultes, deux au plus aux jeunes filles et aux enfans, qui encore avaient coutume de changer cette monnaie au bureau même de distribution, pour solder leur propre contribution de 1 penny par 6 pence en faveur de ceux de leurs camarades qui étaient chargés de famille.

À l’occasion des délégués, il ne faut pas omettre de dire qu’un jour de distribution il s’éleva contre eux un violent orage. Un organe important de la presse de province, le Manchester Guardian, qui, pendant toute la lutte, plaida chaleureusement la cause des chefs des manufactures, et qui ne laissait échapper aucune occasion de faire brèche à celle des ouvriers, se rendit l’écho des accusations alors assez généralement répandues, à tort ou à raison, contre la probité des délégués. On les soupçonnait d’être des dépositaires infidèles. On se plaignait également que le salaire qui leur était alloué, que leurs dépenses, comme celles des comités avec leurs présidens, secrétaires et employés de toute sorte, absorbaient au-delà du quart des sommes recueillies. Les malheureux affamés, qui, quelle que fût la somme distribuée chaque semaine, n’en restaient pas moins soumis aux plus dures privations, prirent feu à la pensée qu’une grosse partie des dons de leurs camarades leur était soustraite ou détournée de sa destination. Il y eut de vives récriminations échangées. Les comités produisirent leurs comptes, et les ouvriers, en ayant reconnu, à ce qu’il paraît, la régularité, continuèrent leur confiance à ces administrateurs, ils la continuèrent également aux délégués ; mais l’opinion publique, qui avait suivi le débat avec curiosité, ne se tint pas pour complètement convaincue de la délicatesse de ces derniers.

À l’époque où nous sommes arrivés, c’est-à-dire à la fin de l’année 1853, la crise avait déjà près de cinq mois de durée. L’enivrement de ceux qui conduisaient le mouvement était alors à son comble : tout avait marché au gré de leurs désirs, et ils croyaient toucher au succès. Les malheureux qu’ils tenaient assujettis à leur direction avaient sans doute beaucoup à souffrir, car l’hiver était dur et le prix des subsistances allait toujours en augmentant ; mais les contributions de secours prélevées sur les ouvriers de toute l’Angleterre arrivaient, elles aussi, dans une proportion toujours croissante. La collecte de la première semaine de la grève n’avait produit que 80 livres, elle fut de 381 dans la seconde, de 1,100 dans la sixième, de plus de 2,000 dans la neuvième, et, comme on l’a dit plus haut, dans la semaine de Noël elle dépassa 4,000 livres. Comment les ouvriers auraient-ils pu douter de la victoire avec de tels moyens mis en leurs mains pour la conquérir ?

Vers le même temps cependant, il survint deux incidens qui durent