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les franchir. Ces traits épars, ces modes divers d’intimidation ne sont pas des fictions ; on les trouve tous constatés dans les feuilles publiques de l’époque, et ils ont fait l’objet de nombreuses plaintes portées devant les magistrats.

Chargés du tribut octroyé par la sympathie des uns, et que la contrainte ou la peur avait arraché aux autres, les délégués retournaient alors à Preston. Avec la rapidité des voies de communication d’aujourd’hui, une nuit suffisait presque à tous pour y arriver, et au grand scandale d’un pays où, comme on le sait, la sanctification du dimanche est religieusement observée, c’est ce jour-là qui avait été choisi pour la distribution des secours. On peut facilement s’imaginer avec quelle impatience elle était attendue. Dès le matin, des groupes stationnaient aux portes de la ville ou s’avançaient à une demi-lieue au-delà, jusqu’à la station du chemin de fer, pour y recevoir les délégués et connaître les premiers quel avait été le produit des collectes. La bonne ou la mauvaise nouvelle circulait de bouche en bouche ; les comités s’assemblaient, mais les distributions ne commençaient pas encore ; il fallait entendre les rapports des délégués sur la situation des esprits dans les contrées qu’ils avaient parcourues : selon les cas, ils se plaignaient du refroidissement qu’ils avaient rencontré dans les uns, ou ils vantaient l’ardeur persistante dont les autres se montraient toujours animés. Celui-ci était reçu avec enthousiasme, car il apportait une grosse somme, et il promettait mieux encore pour la semaine suivante ; celui-là était sifflé parce que ses poches étaient à peu près vides. Il s’en excusait sur les empêchemens de toute sorte qu’il avait rencontrés, sur l’intervention toujours hostile des chefs des manufactures, qui ne laissaient pas pénétrer dans leurs ateliers, sur la difficulté, naïvement avouée, qu’il y avait à obtenir de l’argent des ouvriers quand ils étaient rentrés au logis et qu’ils n’étaient plus sous les yeux les uns des autres. La discussion terminée, on procédait au partage. La somme totale apportée chaque dimanche à Preston était réellement considérable. Ni les manufacturiers, quand ils avaient fermé leurs fabriques, ne pouvaient prévoir que les ouvriers recevraient une telle assistance, ni les agitateurs espérer qu’ils seraient aussi puissamment secondés. C’était d’ordinaire de 2 à 3,000 livres sterling qui arrivaient chaque dimanche à Preston. Aux fêtes de Noël, la recette s’éleva au-delà de 4,000. Dans cette semaine, que l’usage du pays consacre aux réjouissances de famille, les ouvriers avaient voulu que leurs camarades de Preston eussent aussi, sinon leurs joies, du moins un surcroît d’allégement à leurs souffrances. Qu’était-ce cependant que cette somme répartie entre vingt ou vingt-cinq mille individus ? Et combien peu il en revenait à chacun ! 4 ou 5 shillings