Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/404

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Les droits inhérens à tout Anglais nous ont été déniés. Pour perpétuer leur système d’oppression, nos tyrans ont condamné à la faim et à la mort vingt-cinq mille d’entre nous, dont plusieurs n’étaient que des femmes inoffensives et sans moyens de défense ; mais l’humanité n’a pas d’accès en leurs cœurs, les cris de l’orphelin affamé, les soupirs et les sanglots de la mère, le deuil de la veuve, n’excitent que leur dédain et leur mépris… Pour nous dompter et nous amener à leur merci, ils ont d’abord fermé leurs ateliers, maintenant ils y appellent des étrangers. Voilà par quels moyens ils espèrent écraser et dégrader le travail, achever leur œuvre de monstrueuse injustice et de perversité : que la responsabilité en retombe sur leurs têtes ! Braves compatriotes, nous invoquons de nouveau vos sympathies et votre assistance dans ce grand combat que nous livrons pour rédimer le travail et l’arracher des tenailles de fer du capital : notre lutte est celle du droit contre la force, de l’opprimé contre son tyran, de l’esclave contre son maître ; nous combattons contre l’infâme système des bas salaires. Au nom de l’humanité souffrante, au nom de la liberté immuable et éternelle, au nom du lien qui unit les frères entre eux, au nom de Dieu, nous invoquons votre assistance.

« Au secours, ouvriers de la Grande-Bretagne ! le travail est en danger, notre ennemi tourne et rugit autour de nous : il convoite sa proie, comme le lion des saintes Écritures, et va la saisir ; mais venez en aide à vos amis de Preston, et le travail est sauvé ! Au secours donc, enfans et filles de la Grande-Bretagne ! Souscrivez, souscrivez pour la rédemption du travail ; finissons-en avec le système des bas salaires. Un effort encore, un vigoureux effort, et ce système qui a engendré pour nous tous la pauvreté, la misère, les privations de toute sorte, ce système aura fini pour jamais, et nous nous établirons sur ses ruines amoncelées.

« Dix pour cent, et point de capitulation ! »


Ces adresses furibondes, émanées des comités de Preston, en partaient chaque semaine pour aller se répandre dans les ateliers et les fabriques de toute l’Angleterre. Elles y étaient colportées par des agens actifs et infatigables qui les commentaient, les exagéraient encore, et avaient pour mission de leur faire produire leur effet et de recueillir les secours qu’elles provoquaient. Ces agens, sous le nom de délégués, ont tenu une place importante dans la grève de Preston ; ils en étaient les instrumens et les bras au dehors, comme les comités en étaient l’âme et le soutien au dedans. Choisis avec soin dans chaque grand centre manufacturier parmi les ouvriers que l’on avait jugés les plus propres à l’accomplissement de cette œuvre délicate, ils venaient chercher à Preston leurs instructions et leur mot d’ordre ; ils y combinaient ensemble et sous l’inspiration des chefs leurs moyens d’action : de là ils partaient pour les diverses régions qui leur avaient été assignées. Pendant trois mois, ils sillonnèrent le pays en tous sens : on les rencontrait partout, sur les chemins de fer, dans les voitures publiques, dans les auberges, tantôt mornes et taciturnes, si, à un mot prononcé, ils avaient reconnu que leur cause répugnait à la compagnie au milieu de laquelle ils se trouvaient,