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et dont l’existence était le plus étroitement liée à la sienne. À ces fils des puritains de Cromwell, qui, ainsi que leurs pères, se nourrissent de la lecture de la Bible et qui ont gardé quelque chose de leur fanatisme religieux, on parlait le langage des livres saints, pour attiser leurs haines contre les hommes qu’ils considèrent comme les cavaliers de notre temps.

Dans un autre ordre d’idées moins sombre, mais avec une égale connaissance des instincts de la multitude et un égal succès d’entraînement, on échauffait l’imagination des masses par des compositions littéraires mises à leur portée ; et dont le sujet ordinaire était tiré de la vie de l’ouvrier avec ses souffrances et de celle du manufacturier avec ses plaisirs et ses joies. Des satires, surtout des chansons et des ballades, se succédaient, les unes plaintives et émouvantes, les autres pleines de colère et d’imprécations ; elles étaient la plupart l’œuvre des ouvriers eux-mêmes ; on les chantait dans les rues et dans toutes les réunions : les adresses affichées sur les murs portaient pour épigraphes des strophes tirées de ces poèmes. C’était en les chantant qu’on ouvrait et terminait les meetings, et quand des milliers de voix unies, s’animant l’une par l’autre, répétaient en chœur ces paroles cadencées, la foule n’était plus saisie d’enthousiasme, elle était en proie à une sorte de délire et de frénésie : l’air retentissait des cris de dix pour cent ! vengeance sur nos oppresseurs, les lords du coton ! mille fois la mort plutôt que de nous soumettre à ces tyrans ! » Sans aucun doute, ces effusions lyriques ont été l’un des principaux instrumens de l’agitation et l’un de ses soutiens les plus puissans. Le recueil en existe, et il est volumineux. Des citations prises au hasard donneront l’idée de l’esprit de colère qui les inspirait toutes ; mais quelques-unes, que nous allons citer, se recommandaient en outre par un réel mérite poétique, qu’une traduction en prose et en langue étrangère reproduira, nous le craignons, difficilement.


DIX POUR CENT.
Chanson nouvelle sur la grève de Preston.

« Allons, vous tous, hommes de la liberté, en quelque lieu que vous soyez, prêtez l’oreille, je vous prie ; écoutez-moi. Je chante la grève des Prestoniens ; armés d’un bon courage, ils tiendront fermes, par ma foi, tant qu’ils auront la vie et du sang dans les veines.

« Chœur. — Or ça, mes gars, ne vous laissez pas abattre, mais raidissez-vous pour la lutte. Nous ne céderons pas, nous ne quitterons pas le champ de bataille que la journée ne soit gagnée !

« En mil huit cent quarante-sept, mes gars, — c’est triste à dire, — on nous enleva le dix pour cent, et cela sans faire de façons. Aujourd’hui que