Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/391

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« C’est un homme de collège, mais qui ne saurait se tenir entre les deux roues d’une machine. » Gallagher était en effet le seul lettré parmi les chefs de la ligue : secrétaire du comité, il était chargé de rédiger les proclamations aux ouvriers, et son style, tout en figures et en images, recouvrait de paroles emphatiques d’ardens appels aux plus mauvaises passions de ceux à qui il s’adressait. Mais l’agitateur hors ligne, celui à qui tous les autres cédaient le pas, et qui en réalité menait le mouvement, c’était George Cowel. Il était l’idole de la foule, qui avait mis en lui toute sa confiance, et qui la lui a conservée jusqu’au dernier moment. Simple filateur à Preston, la nature l’avait fait orateur, et sa voix avait une rare puissance, qui tenait moins encore peut-être à son talent qu’aux sympathies pour sa personne et son caractère. Le romancier Dickens, qui s’était rendu à Preston pour y recueillir des études de mœurs, et qui écrivait dans un journal, le Daily News, regardé de tout temps comme favorable à la cause des ouvriers, a tracé de Cowel le portrait suivant : George Cowel est le plus populaire auprès des ouvriers, et, selon nous, il mérite de l’être, car c’est en toute chose un homme vraiment remarquable. Sa taille est au-dessus de la moyenne, son visage est pâle ; il a l’œil clair, ouvert et joyeux, le front large ; toute sa personne respire un air de résolution et de sincérité qui dès le premier abord lui concilie les sympathies de son auditoire ; il parle le rude dialecte de sa contrée, il connaît tous les mots de convention en usage parmi les ouvriers, et il en use avec la conscience de la force que cela lui donne sur eux. Si une objection s’élève de la foule, sa répartie vive et d’ordinaire facétieuse fait taire aussitôt l’interrupteur. C’est en un mot un des plus parfaits orateurs populaires que nous ayons jamais entendus. Les adversaires mêmes de Cowel louaient son talent et professaient de l’estime pour sa personne. « Abstraction faite, disaient-ils, de ses opinions fondées nous ne savons sur quels motifs, et qui, si elles sont sincères, méritent d’être respectées, nous le tenons pour un homme digne d’honorer une juste cause. »

Au second rang, mais très loin après Cowel, venait Swingkhurst, qui, comme il s’en vantait lui-même, avait été depuis trente ans mêlé à toutes les agitations populaires de son pays. Sa taille athlétique, son geste hardi et sa figure impudente, toute couturée par la petite vérole, l’avaient comme prédestiné à ce rôle de tribun. Il affectait de porter les vêtemens les plus communs et d’être inculte dans tout son extérieur. Bien différent de Cowel, qui gardait toujours une certaine mesure de langage dans ses attaques contre les patrons, Swingkhurst prodiguait l’injure et les expressions grossières ; il était loin cependant de manquer d’habileté et de finesse