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devoir, pour eux et pour le pays tout entier, de ne pas reculer. En conséquence, le 15 septembre 1853, une affiche placardée sur tous les murs de la ville faisait connaître aux ouvriers qu’ils avaient jusqu’au 15 du mois suivant pour aviser à ce qu’ils avaient à faire et réfléchir sur les maux auxquels leur foi entêtement allait les exposer.


II

Cette déclaration produisit une sensation extrême. Dans un langage modéré, mais très ferme, les filateurs se plaignaient de ce que leurs ouvriers, sans tenir compte des concessions récentes qu’on leur avait faites, ni des embarras que leurs patrons éprouvaient en ce moment, cédaient à des suggestions étrangères et prétendaient dicter par la force des conditions que pas un d’eux n’essayait de discuter, tant ils en sentaient tous l’exagération. Ils leur reprochaient de s’être placés sous le joug de quelques misérables venus du dehors, sans relations avec eux, vivant à leurs dépens, et qui s’arrogeaient le droit de les conduire et de déterminer à quelles conditions il leur était permis d’user de leurs bras et de vivre de leur travail. Que les ouvriers, disaient-ils, se soumettent à cette tyrannie, ils en sont les maîtres ; mais, quant à nous, nous ne transigerons pas avec elle, et si dans un mois tous ne sont pas rentrés dans les ateliers, nous sommes fermement résolus à les fermer, quelques conséquences qui puissent en résulter pour nous-mêmes et pour les malheureux qui en seront victimes avec nous. Ceux-là seuls qui nous auront forcés d’en venir à cette extrémité en porteront la responsabilité devant le pays et devant leurs propres familles. En tête des signatures de la déclaration figurait celle d’un fabricant qui, à lui seul, occupait plus de cinq mille ouvriers.

Les ouvriers, étourdis un moment du coup qui leur était porté, semblèrent fléchir dans leur résolution. Leur comité, par l’organe de son président et de son secrétaire, demanda aux fabricans de se réunir en conférence pour y régler la querelle, mais ceux-ci répondirent qu’ils ne connaissaient rien de ce soi-disant comité, et qu’il était à leurs yeux sans qualité pour s’interposer entre eux et leurs hommes. Les manufacturiers de toute l’Angleterre applaudirent à cette énergie, et sans aller aussi loin que leurs confrères, parce que l’attitude des ouvriers chez eux n’était encore que menaçante, la plupart se préparèrent à la lutte pour le cas où elle s’ouvrirait, et presque partout ils se formèrent en association. Dans les villes de fabrique qui avoisinent Preston, plus de quatre-vingt-dix chefs de maisons s’unirent entre eux sous le nom d’association de défense. À Manchester, on se hâta de jeter les bases d’une semblable organisation.