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puisque souvent le travail cessait et était frappé de suspension là où ils auraient voulu rester occupés.

La situation était devenue des plus graves, et tout le pays commençait à s’en émouvoir. On comprenait que la question qui se débattait à Preston intéressait l’industrie de toute l’Angleterre. Preston n’était plus, à proprement parler, qu’un champ de bataille, et suivant que la victoire s’y déciderait pour les maîtres ou pour les ouvriers de cette ville, la cause commune de ceux-ci ou de ceux-là devait être gagnée ou perdue dans toute l’Angleterre. D’un bout du pays à l’autre les ouvriers anglais ne s’y méprenaient pas, on pouvait le reconnaître à l’ardent intérêt que sur tous les points du territoire ils portaient à leurs camarades de Preston. La lutte que les Prestoniens soutenaient était l’objet de toutes leurs préoccupations ; ils en suivaient les phases avec la plus vive curiosité, et déjà ils se préparaient à leur prêter une aide plus efficace que de stériles vœux et de vaines paroles d’assentiment. De leur côté, les manufacturiers et les industriels des autres comtés encourageaient leurs confrères de Preston à la résistance ; ils se prêtaient à tous les tempéramens possibles dans l’exécution des contrats précédemment passés avec eux. La presse également mettait à leur service sa publicité et son influence, et à l’exception d’un ou deux journaux dont les tendances inclinent au nivellement social, et dont la voix, dans un pays comme l’Angleterre, n’est écoutée que d’un petit nombre et reste sans autorité dans la nation, tous les autres prenaient parti contre les ouvriers. Ceux-là même qui, trois mois auparavant, leur témoignaient plus ou moins explicitement leurs sympathies, alors que leur cause paraissait légitime, s’étaient aujourd’hui retirés d’eux, et se refusaient à soutenir des exigences aussi exagérées au fond qu’elles étaient dangereuses par la forme comminatoire sous laquelle on les produisait. Enhardis dès-lors par ce mouvement général de l’opinion publique, qui de toutes parts se prononçait en leur faveur, les manufacturiers et les fabricans de Preston firent tête à l’orage : quelques-uns, qui déjà y avaient cédé ou se disposaient à le faire, se rallièrent au parti de la résistance, et, tournant machine de guerre contre machine de guerre, à la coalition des ouvriers ils opposèrent la leur.

Les rares, mais très ardens publicistes qui avaient pris en main la défense des ouvriers et qui, durant toute la lutte, n’ont rien négligé pour exciter leurs passions, se sont fait une arme de cette coalition des maîtres. Selon eux, elle justifiait la coalition des employés et elle l’avait rendue nécessaire. L’argument vaut la peine d’être examiné, car il a joué un grand rôle dans le débat. Appliqué à la résolution prise par les manufacturiers de se lier mutuellement