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surtout le préoccuper, c’était l’impression que produirait en Cochinchine la conclusion d’un traité entre Siam et l’Angleterre. Peut-être, pensait-il, vont-ils s’imaginer que le roi de Siam a eu la main forcée, qu’il s’est humilié devant les exigences des Anglais, que sa dignité est atteinte ! Et alors il engageait l’ambassadeur à passer par la Cochinchine avant de retourner à Hong-kong, et à conclure avec le souverain de ce pays une convention analogue au traité qui aurait été signé à Bangkok. De cette façon, il n’aurait plus à craindre de commentaires fâcheux, et les Cochinchinois seraient réduits au silence. Ce détail ne manque pas d’intérêt : il démontre que les cours de l’Asie ne sont point aussi indifférentes qu’on le suppose aux impressions de l’extérieur. Tout en paraissant se replier dans un isolement systématique, elles tiennent à connaître ce qui se passe au-delà de leurs frontières, et elles consultent attentivement l’opinion des contrées voisines. Cette attitude d’observation que les gouvernemens orientaux gardent les uns vis-à-vis des autres est assurément l’un des plus grands obstacles qui arrêtent les progrès de l’influence européenne. En effet, aux yeux des peuples asiatiques, toute concession faite à l’Europe est un acte de trahison et une marque de faiblesse ; de là, parmi les souverains de l’extrême Orient, une profonde répugnance à traiter avec l’étranger. Ils craignent qu’on ne les accuse de compromettre la cause commune, d’ouvrir la porte à l’invasion des barbares et d’introduire lâchement l’ennemi dans la place. Si l’un d’eux, par hasard, se montre disposé à suivre les inspirations d’idées plus libérales, il désire au moins ne pas être seul à marcher dans de nouvelles voies, et demande pour ainsi dire qu’on lui fournisse une excuse en lui faisant des complices. Telle était la situation d’esprit du roi de Siam, lorsqu’il invitait l’ambassadeur anglais à se rendre également en Cochinchine, et ce conseil ou plutôt cette prière fut reproduit avec instance dans le cours des négociations. Sir John Bowring ne crut point devoir prendre à cet égard d’engagement formel ; il donna seulement à entendre qu’il se concerterait avec le ministre de France pour faire une visite à l’empereur d’Annam. La conversation se porta ensuite sur d’autres sujets, et se prolongea plus de deux heures. Il fut entendu qu’avant d’engager officiellement une discussion diplomatique, l’ambassadeur et ses attachés se mettraient en rapports avec les hauts fonctionnaires, afin de préparer les bases d’un traité, et les deux interlocuteurs se séparèrent, fort satisfaits l’un et l’autre de cette première entrevue.

Dès le lendemain 5 avril, sir John Bowring visita le phra-klang, premier ministre, et le phra-kalahom, ministre des affaires étrangères. Le 6, il eut une conférence avec l’un des deux somdetches ou régens, qui, dans la hiérarchie du royaume, prennent rang immédiatement