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L’histoire des royaumes de l’Inde et la guerre des Birmans sont pour les cours orientales un épouvantail bien naturel. Aussi les ministres siamois devaient-ils être fort désireux de connaître à l’avance le but réel de la présence du Rattler et de la mission confiée à sir John Bowring, et ce n’était point simplement par politesse que leurs agens, sous prétexte de porter des lettres ou des présens, se succédaient sans interruption à bord de la corvette. En tout cas, les impressions qu’ils recueillirent furent complètement favorables à l’ambassade, et le 3 avril, dans une entrevue avec le premier ministre, que le roi avait envoyé à Paknam, l’ambassadeur reçut de nouveau l’assurance qu’il trouverait à Bangkok le meilleur accueil.

Le même jour, à midi, sir John Bowring partit pour la capitale. On avait disposé quatorze embarcations, appartenant au roi, pour le transport de la mission. Le canot destiné à l’ambassadeur était magnifiquement orné. Avec deux yeux peints à l’avant et une queue se prolongeant à l’arrière, il avait la forme d’un poisson. D’élégantes peintures, où l’or brillait à profusion, couvraient les bordages. De riches tapis étaient étendus dans la chambre, que d’épais rideaux protégeaient contre les rayons du soleil. Le capitaine se tenait à la proue auprès d’une idole dorée, placée là sans doute pour conjurer les périls du voyage ; deux grands avirons, manœuvrés à la poupe, dirigeaient la marche du canot, qui s’avançait rapidement sous les efforts de quarante rameurs. Les autres embarcations suivaient à distances égales. L’ensemble de cette flottille pavoisée, d’où s’échappaient par momens les bruyantes chansons des matelots, présentait un magique coup d’œil. C’était ainsi qu’au XVIIe siècle l’ambassade de Louis XIV avait solennellement remonté le Meïnam, et sir John Bowring pouvait reconnaître dans les honneurs qui lui étaient rendus sur les eaux siamoises le cérémonial minutieusement décrit par l’abbé de Choisy et par La Loubère.

À moitié route, la flottille s’arrêta pendant une demi-heure devant un petit port nommé Praklan, où la mission fut reçue par un mandarin qui offrit une copieuse collation. Ce fonctionnaire était d’origine portugaise ; mais on eût hésité à deviner, sous l’uniforme grotesque dont il était fièrement affublé, sa descendance européenne. Il existe encore à Siam un certain nombre de vieilles familles portugaises ; elles sont pour la plupart misérables, et se trouvent confondues avec les classes infimes de la population indigène : tristes débris qui rappellent le temps d’Albuquerque ! Il faut, quand on les rencontre, s’incliner devant de tels souvenirs. Après avoir pris congé du mandarin, sir John Bowring se remit en route vers Bangkok, où il arriva à six heures du soir. Pendant tout le trajet, il avait admiré la végétation brillante et vigoureuse qui couvre les rives du Meïnam. Des deux côtés s’étendent de belles forêts, dont le feuillage, toujours