Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/323

Cette page a été validée par deux contributeurs.

vraiment romains, et, en dépit de son nom germanique, très hostiles aux Barbares. Le monument destiné à honorer les derniers continuateurs de la littérature latine subsistait donc toujours, consacré au même emploi, et plus tard encore Fortunat, cet Italien devenu, à la cour des rois francs, poète ordinaire de Childéric et de Frédégonde, dit positivement qu’on récitait des vers dans le forum de Trajan, c’est-à-dire dans la basilique ou dans la bibliothèque Trajane qui en dépendait :

Audit Trajano Roma verenda foro.


Le même Sidoine Apollinaire nous apprend que les thermes d’Agrippa, de Néron, de Dioclétien, subsistaient de son temps. La voie Appienne avec ses tombeaux fit l’admiration de Procope au VIe siècle.

Rome avait ainsi conservé ses monumens, mais elle n’avait conservé que cela d’elle-même. Tandis que les poètes déclamaient encore leurs vers en public, que les riches formaient des galeries de statues qu’ils s’amusaient à faire dorer, se livraient aux plaisirs de la table, galopaient sur de nobles coursiers à travers la ville presque abandonnée, ou mettaient leur vanité à avoir des voitures très élevées, les pauvres s’agitaient dans leur misère, et cherchaient à s’en distraire par de fréquentes séditions. Déjà sous Jovien, Symmaque, préfet de la ville, et qui avait fait construire un pont, vit son palais détruit dans une émeute. La cause de ces troubles était souvent le manque de pain. Les empereurs n’étaient plus là pour nourrir une plèbe indigente ; l’Égypte faisait partie de l’empire d’Orient, et ses blés étaient réservés pour alimenter la nouvelle capitale. Ainsi les empereurs, après avoir déserté Rome, l’affamaient.

Malgré cette apparence monumentale toujours la même, l’aspect de Rome dut changer insensiblement, la vie diminuer, les richesses émigrer vers Constantinople, les grandes familles déchoir, et, comme le dit Gibbon avec une imagination de style qui ne lui est pas ordinaire, « les faibles restes du peuple romain se perdaient dans l’espace immense des thermes et des portiques. Les vastes bibliothèques et les basiliques devenaient inutiles à une génération indolente qui s’occupait rarement d’études ou d’affaires. Les temples qui avaient échappé au zèle destructeur des chrétiens n’étaient habités ni par les dieux ni par les hommes. » La magnificence romaine, qui ne se produisait plus par des monumens publics, se réfugiait dans la vie privée. Le luxe des demeures opulentes est attesté par les débris de celle qu’on vient de découvrir chez les dominicains de Sainte-Sabine, et dans laquelle un archéologue de premier ordre, M. de Rossi, a reconnu l’habitation des Cœcina, famille illustre dans les derniers siècles de Rome.