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ont peut-être vu César consommer ici l’attentat du Rubicon ; l’incohérent ensemble de ce temple transporte l’œil et l’imagination des splendeurs du siècle d’Auguste aux dernières misères, de l’empire que cet acte d’audace devait fonder. On suit encore son histoire au moyen âge, où dans le nom de ceccha (pour zecca, monnaie), qu’il reçut alors, se trahit une vague tradition du voisinage de l’œrarium, du trésor public. L’époque de sa ruine définitive conduit jusqu’à la renaissance, la renaissance, qui, en dépit de son nom, fut la mort de tant d’antiquités. Le Pogge assista presque à cette destruction du temple de Saturne. En 1425, il l’avait vu encore presque intact et conservant ses revêtemens de marbre ; à un second voyage, il le trouva démoli : les huit colonnes de la façade restaient seules comme elles restent encore aujourd’hui. Tel est le chemin qu’à Rome un monument fait faire à la pensée à travers les siècles.

Rome avait un grand aspect monumental au commencement du Ve siècle. « Contemple, dit Claudien à Stilicon, les sept monts qui insultent aux rayons du soleil par l’éclat de l’or, les arcs chargés de dépouilles, les temples au niveau des nuages, » puis à Honorius, qui était venu habiter la résidence impériale du palatin : Le palais domine de sa cime les rostres[1], qui sont à ses pieds. Que de temples il voit autour de lui ! La demeure de Jupiter montre les géans suspendus au-dessus de la roche Tarpéienne. Le poète indique ici le fronton du temple de Jupiter, où étaient représentés les géans foudroyés, et les portes ciselées, et les statues qui semblent voler à travers les nuées, et les colonnes d’airain que décorent de nombreuses proues de vaisseaux ; l’œil est ébloui par l’éclat des montagnes et s’étonne de voir l’or étinceler partout. Cet éclat matériel que Rome conservait sous Honorius fait comprendre comment on peut rencontrer encore dans cet âge de décadence un poète aussi latin et au milieu de sa pompe aussi élégant que Claudien. Claudien représente dans la poésie cette dernière magnificence de Rome. J’y trouve un écho de la grandeur romaine, dont en le lisant on croit entendre un sonore et suprême retentissement, comme dans la Rome que peignent ses vers apparaît un suprême reflet de cette grandeur.

Mais en même temps Claudien nous fait comprendre le contraste qui existait entre le luxe des monumens et la misérable condition de l’empire. La confiance que le poète affecte de montrer dans les

  1. Dans un bas-relief de l’arc de Constantin, on voit la vraie forme de la tribune aux harangues et l’empereur assis sur ce trône de l’antique liberté romaine. Au temps de Claudien, c’était un consul, c’est-à-dire un serviteur de l’empereur, qui venait y prendre place. Entouré de ses licteurs, il y rendait la justice. La tribune était devenue un tribunal servile.