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— C’est pour vous, s’écria-t-il, qu’il est heureux d’être dans cette maison. Si vous étiez chez moi, je vous aurais déjà fait chasser par mes laquais.

« Mario pâlit et se mordit les lèvres jusqu’au sang. Cependant il parvint à se surmonter. Il croisa ses bras sur sa poitrine, et s’approchant encore du comte, il lui dit d’un l’on énergique, mais calme : — Essayez vous-même, monsieur. Entre un homme qui parle comme vous faites et un laquais, je ne vois pas de différence.

« San-Luca tressaillit à cette insulte. Il se serait élancé sur son adversaire, si le marquis ne s’était jeté entre eux en leur adressant de graves paroles pour les ramener à une attitude plus digne d’hommes honorables et bien élevés.

« — Où pourrons-nous reprendre cette conversation ? dit San-Luca d’un air léger, tandis que Mario prenait congé du marquis.

« — Où et quand il vous plaira, répondit Mario.

« — Ce soir, à sept heures, je serai au café Fiorio avec quelques amis.

« — J’y passerai, n’en doutez pas.


Et Mario sort. Très fort aux armes, il ne redoute pas une rencontre qui est une grande satisfaction pour son amour-propre et son patriotisme justement froissés ; mais il se demande s’il a le droit, pour une misérable querelle, de risquer sa vie qu’il a juré de consacrer à la cause nationale. Après avoir fait part de sa perplexité à ses amis, aussi embarrassés que lui, il se détermine à prendre conseil des circonstances. À sept heures, le soir même, il est au café Fiorio avec Selva et Romualdo, ses témoins. Ils ne tardent pas à voir arriver le comte de San-Luca, escorté du marchesino de Baldissero et du chevalier de Belliore, l’une des plus mauvaises langues de Turin. Mario se lève ainsi que ses amis et rejoint avec eux les arrivans, en ayant soin de se tenir à quelque distance de la foule qui encombre les abords du café et les portiques du Pô. Les trois jeunes patriciens répondent à peine au salut poli de leurs adversaires. San-Luca prend la parole avec une négligence hautaine.


« — Ces messieurs sont mes amis, dit-il. Ils savent tout ; vous pouvez vous entendre avec eux.

« Et il fit quelques pas pour s’éloigner, en chantonnant un air de théâtre et en serrant la pomme de sa canne entre ses dents.

« Mario se tourna vers les deux témoins : — C’est monsieur le comte, dit-il, qui m’a indiqué ce lieu de rendez-vous. C’est donc à ces messieurs qu’il appartient de me faire connaître leurs intentions.

« Le chevalier de Belfiore répondit : — Je crois qu’elles sont faciles à deviner. Notre ami a été insulté…

« — C’est-à-dire, interrompit Mario ;… mais, se ravisant aussitôt, il retint les paroles qui allaient s’échapper de ses lèvres.

« — Soit, dit-il froidement. Après ?

« — Il est en droit de réclamer et il réclame une réparation d’honneur.