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des airs d’indépendance, son père étant partisan des doctrines absolutistes et sa mère toute dévouée aux jésuites. Au sortir du collége, il rejeta ces sentimens d’emprunt et alla jusqu’aux extrêmes dans le sens opposé. Il compta bientôt parmi ces mauvais citoyens qui tendent la main à l’étranger et l’appellent au secours de leur parti, jaloux de reconquérir sa prépondérance perdue, sans même se demander si cette invasion ou cette violence morale qu’ils invoquent ne serait pas tout ensemble la ruine et le déshonneur de leur pays.

Tel était l’héritier du grand nom des Baldissero. Le vieux marquis ne se faisait point d’illusions à son égard ; mais il se sentait impuissant à le corriger. La distance où il avait toujours tenu ses enfans en sa qualité de chef de famille, et en quelque sorte de seigneur féodal, ne lui permettait d’obtenir qu’un froid respect pour son droit de remontrance. Toutefois, bien qu’il se fût convaincu que son fils aîné n’était ni un bon citoyen, ni un bon noble, ni un bon fils, et qu’il lui préférât de beaucoup ses deux autres enfans, il n’avait pas songé un instant à lui substituer l’un de ces derniers. L’hérédité par droit d’aînesse avait pour lui la valeur d’un principe ; elle était la base de l’ordre social tel qu’il le concevait. Il se borna donc à gémir intérieurement, sans même se demander si ce hasard qu’il déplorait n’était pas un terrible argument contre ses vieilles idées, et, content d’avoir fait recevoir son fils aîné docteur en droit[1] pour lui ouvrir l’accès de la carrière diplomatique, il maintint les deux autres à l’académie militaire, d’où ils ne devaient sortir qu’officiers dans l’armée. La profession militaire convenait seule à leur naissance, puisque ni l’un ni l’autre, contrairement aux traditions aristocratiques, n’avait voulu entrer dans les ordres.

Dans les conseils du roi, comme on pouvait s’y attendre, le marquis de Baldissero opina pour une résistance énergique au mouvement italien de 1847. Il y voyait la ruine du Piémont, de la monarchie et de la société. — C’était chose honteuse, disait-il, que de céder à l’anarchie : le gouvernement devait à sa dignité de refuser des réformes qu’on n’avait pas le droit de lui demander. — Il combattit avec une égale ardeur l’octroi des institutions représentatives et la guerre contre l’Autriche. S’il éprouva une profonde douleur de voir ses avertissemens inutiles, il n’en ressentit cependant aucun dépit d’amour-propre, et encore moins songea-t-il à séparer sa cause

  1. Est-il besoin de dire que le titre de docteur en droit ou en lois a infiniment moins de valeur en Italie que chez nous, puisqu’il est obligatoire pour toutes les carrières qui se rapportent à l’administration de la justice ? Si l’on pouvait le comparer à l’un de nos grades universitaires, ce serait tout au plus à la licence en droit ou au doctorat en médecine, qui sont chez nous les grades professionnels.