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Turin lui permit de pénétrer sans danger dans les états sardes. Des hostilités sérieuses allaient éclater sur les bords du Tessin, et Mario désirait ardemment être enrôlé dans les bersaglieri, excellent corps de tirailleurs formé sur le modèle de nos chasseurs d’Afrique, et qu’il prévoyait bien devoir être au premier rang lorsque la campagne commencerait. Sa qualité de Romain était un obstacle à l’accomplissement de ses désirs, car à cette époque le gouvernement piémontais n’avait pas encore conçu la généreuse pensée de voir dans tout Italien qui viendrait lui demander asile un citoyen des états sardes. Cependant l’avocat Poggei avait porté aux nues Mario pour sa noble résolution : il lui promit de faire lever toutes les difficultés par le marquis de Baldissero, qu’il est temps de faire connaître au lecteur.

Représentant d’une ancienne et illustre famille, le marquis de Baldissero portait écrit sur ses traits l’orgueil de sa race ; nul n’était plus fier que lui de son blason immaculé. Toutefois un air de bonté répandu sur sa physionomie vénérable tempérait ce que ces sentimens auraient pu avoir de blessant pour les autres, et inspirait une respectueuse sympathie. On voyait bien qu’il ne se regardait pas comme l’égal du commun des mortels ; mais cette croyance ne lui inspirait pas une sotte vanité, elle lui persuadait seulement qu’il devait être en toute chose plus méritant que personne. Noblesse n’était pas pour lui synonyme de privilège, mais d’obligation, suivant l’antique adage. Il aurait voulu que sa caste ne se contentât pas d’être supérieure au reste de la société par la distinction des manières : elle devait, suivant lui, être aussi au premier rang par le savoir et la vertu ; son tort était seulement de trop confondre ses aspirations avec la réalité. Ne voyant pas que la noblesse a cessé de devancer les autres classes, il ne pouvait comprendre les besoins et les vœux de la société moderne.

Le marquis avait trois fils. L’aîné, le marchesino, dont il a été question à propos de Poggei, était destiné à soutenir l’honneur de la famille et la splendeur du nom ; la fortune paternelle lui était en conséquence réservée presque entière. Ce n’est pas qu’il fût plus digne que ses deux frères de porter un tel fardeau ; bien au contraire, il représentait la nouvelle noblesse aussi exactement que M. de Baldissero représentait l’ancienne : ignorant, orgueilleux, livré à l’oisiveté et par suite au vice, dédaigneux pour quiconque n’avait pas autant de quartiers que lui, sceptique en religion et en politique plutôt par nature que par réflexion, il ne tenait à prouver la supériorité qu’il s’attribuait que dans l’art de monter à cheval, de faire des armes et de dépenser de l’argent. S’il avait permis au collége qu’on le fît passer pour libéral, c’est qu’il voulait ainsi se donner