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Grechi s’était flatté qu’une fois le sacrifice accompli de ses opinions politiques, il n’aurait plus, pour avancer rapidement dans sa carrière, qu’à remplir avec ardeur et dévouement les devoirs de sa charge. C’était encore une honnêteté relative dont il faut savoir gré aux hommes qui ont renié leur passé. Il fut cruellement déçu dans son espérance. Un haut personnage, à la protection duquel il devait beaucoup et qu’on réputait ami trop passionné du beau sexe, le fit un jour appeler et eut avec lui un entretien particulier. Le sujet de cet entretien resta enveloppé d’un profond mystère ; mais à partir de ce jour, tout le monde, dans les bureaux, remarqua l’air sombre et taciturne de Grechi. Dans les réceptions, ses collègues, ses rivaux se réjouirent de voir que le haut personnage dont il s’agit l’accueillait avec une froideur marquée et répondait à peine à son salut. Sur ces entrefaites, une place d’intendant provincial vint à vaquer : elle était l’avancement naturel et légitime du transfuge, elle lui avait été promise ; cependant un autre l’obtint. La disgrâce était évidente, ce fut pour tous ceux qu’avaient froissés les allures hautaines de Cosma Grechi une occasion de se venger en l’humiliant, en l’irritant à leur tour par des allusions malignes, par des sourires moqueurs et insultans. Pendant quelques jours, Cosma Grechi supporta patiemment tous ces outrages mal déguisés ; mais, voyant qu’il ne faisait par là qu’enhardir ses ennemis, il reparut bientôt au milieu d’eux la tête haute, le dédain aux lèvres, comme un homme sûr de prendre sa revanche. On apprit en même temps qu’il venait d’obtenir une nouvelle entrevue avec le haut personnage, cause probable de sa disgrâce. Peu après, il recevait la croix de chevalier et découvrait, dans de vieux papiers de famille, qu’il pouvait, sans trop d’invraisemblance, s’appeler Grechi de Savornio. Son ruban tout neuf et sa fraîche noblesse facilitèrent ses négociations matrimoniales. Il épousa une veuve élégante et riche, qui avait hâte de se bien remarier, n’étant plus de première jeunesse. Le haut personnage daigna signer au contrat et faire nommer, pour son cadeau de noces, le chevalier Grechi de Savornio secrétaire général de son ministère. Arrivé là, le chevalier se nomma bientôt lui-même intendant de division, l’une des charges les plus considérables du royaume de Sardaigne. En moins de huit ans, il a refait ainsi sa carrière brisée : il s’acquitte d’ailleurs de ses fonctions avec la même exactitude, le même zèle, la même intelligence que par le passé ; mais il sait désormais qu’il faut autre chose pour parvenir au premier rang, et la conscience de n’y être arrivé qu’à force de lâches complaisances le trouble dans son triomphe.

Il faut tenir compte à M. Bersezio des nuances qu’il a su apporter dans la composition de ce triste personnage. Au début, Cosma Gre-