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moins gênés que lui. Il n’avait donc ni ami ni maîtresse. Le hasard plaçait-il sur sa route quelqu’un de ceux qu’il évitait, il les abordait avec embarras, parlait peu et s’enfuyait au plus vite. Obligé de se replier sur lui-même, il creusa profondément le sillon de sa pensée, sans regarder ni à droite ni à gauche, dans la direction que sa position personnelle lui indiquait naturellement. La solution du problème de la misère et de l’inégalité sociale devint l’objet unique de ses réflexions : il prit en pitié, comme des esprits à courte vue, tous les jeunes hommes qu’enflammait exclusivement l’amour de la patrie ; il les regarda, dit M. Bersezio, comme gens qui, pouvant obtenir un grand trésor, se contentent de désirer une seule pièce de monnaie. Cosma Grechi ne comprenait pas que la question politique est trop compliquée en Italie pour que l’heure soit venue de la question sociale.

Sa foi socialiste, ouvertement déclarée, fut bientôt mise à l’épreuve : elle lui valut une destitution qui priva sa famille d’une moitié de ses ressources. De là des récriminations amères contre le penseur imprudent. On avait tort de l’aigrir au sujet d’un malheur irréparable ; enivré de son rôle de victime, il eut à son tour le tort grave de céder à la colère et d’abandonner tout à fait la maison paternelle, où il laissait ses jeunes frères à la charge exclusive de son père, devenu veuf. Le parti démocratique ayant ouvert une souscription à son profit, il en abandonna le montant aux pauvres, malgré la misère à laquelle il était réduit, pour obtenir les applaudissemens de la multitude et enlever l’admiration ou l’estime de ses adversaires. Ainsi jeté dans la vie politique, il fonda un journal où il exagéra encore les doctrines de Mazzini, mais que le talent du publiciste fit lire avec curiosité tant que dura la crise. La défaite de Novare et la réaction qui en fut la suite mirent fin à ce succès éphémère : personne ne voulut plus imprimer ni la feuille, ni les opuscules socialistes de Cosma Grechi. Ce retour à la misère trouva l’ancien publiciste plein de courage : d’abord la misère n’était plus pour lui une inconnue ; ensuite il se flattait d’en conjurer les plus terribles menaces, de pourvoir par son travail aux besoins les plus impérieux de l’existence, car depuis longtemps il savait se priver du superflu. Le malheureux avait compté sans la célébrité que ses écrits lui avaient faite : exclu nécessairement des services publics, il ne trouva chez les particuliers que répugnance ou timidité. Pour un motif ou pour l’autre, aucun banquier, aucun industriel ne voulut donner dans ses bureaux la moindre place au dangereux socialiste. Réduit à se réfugier dans une mansarde, à vendre peu à peu tout ce qu’il possédait, il finit, quel supplice pour son orgueil ! par demander quelques secours en argent ou en nature à celles de ses connaissances