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peu de Dieu, tout des nobles et du clergé. » C’est pourquoi il courtisait assidûment nobles et prêtres, sans oublier la police militaire, qui était alors le troisième grand pouvoir de l’état. Il avait su, à force de complaisances, se lier particulièrement avec le fils aîné du marquis de Baldissero, l’un des plus puissans seigneurs du royaume, et l’un de ceux à qui son père prêtait le secours de sa plume. Poggei faisait au collége les devoirs du marchesino ; il lui apportait des romans nouvellement arrivés de France pour le désennuyer pendant la leçon du professeur, que lui-même affectait, selon son habitude, d’écouter religieusement. Quand le marchesino s’absentait pour une cause plus ou moins légitime, c’était Poggei qui, à l’appel de son nom, répondait invariablement : ammalato (malade). Daignait-il se rendre au collége, n’ayant pas de meilleur emploi de son temps, Poggei se chargeait spontanément de ses livres et de ses cahiers. Son empressement, son obséquiosité, lui donnaient l’air d’un domestique.

Si loin que de telles mœurs nous portent de l’admirable égalité qui règne parmi les écoliers en France, il ne faut pas les regarder comme invraisemblables, ni même comme exceptionnelles : elles sont le fruit naturel du régime absolu et d’une longue habitude de s’incliner devant toutes les supériorités sociales. Qui ne sait que, même au sein de la libre Angleterre, les enfans de l’aristocratie et ceux de la bourgeoisie forment, dans les colléges où ils vivent réunis, comme deux courans distincts qui suivent parallèlement la même voie sans jamais se rencontrer ? Essayez donc de persuader à un Anglais que le fils d’un lord n’est pas son supérieur, par cela seul qu’il est fils de lord ! Il y a quelques années, le même respect superstitieux entourait les classes élevées de la société piémontaise, avec cette différence qu’on trouvait dans ce pays le noyau d’une opposition inconnue en Angleterre. Pour ne parler ici que du collége, à côté des enfans dociles aux anciennes traditions se trouvaient ceux des hommes qui avaient sucé le lait de la révolution française. Ceux-là, nourris de 1789, d’Alfieri et des républiques anciennes, avaient été poussés par les doctrines extrêmes de l’absolutisme dans l’extrême contraire. Ils n’aspiraient qu’au jour où ils pourraient s’affilier à la Jeune Italie. Ils ne comprenaient pas la royauté sans le blason, l’étole et le sabre, qui en étaient alors l’inévitable cortége, et à ce prix ils n’en voulaient plus. Politiques avant l’âge, — c’était alors un goût aussi général qu’il est passé de mode aujourd’hui, — ils poussaient la haine de la tyrannie jusqu’à ses plus déraisonnables limites. Ils la voyaient jusque dans la légitime et paternelle autorité de leurs préfets et de leurs maîtres ; ils croyaient se montrer dignes de la liberté en se mettant en guerre avec eux, en refusant de répondre à