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Mehemmedda et à ses fils, il ajouta : — J’ai vu votre fils qui se porte bien, et qui m’a semblé très satisfait de son nouvel état.

— Quel état ? demanda le père, non sans quelque inquiétude.

— Comment ? ignorez-vous qu’il s’est enrôlé volontairement dans l’armée ? Je croyais que cela avait été convenu à l’avance entre vous, et je vous demande pardon si j’ai commis, sans le vouloir ni le savoir, une indiscrétion.

— Nous n’avons rien à vous pardonner, mon ami ; mais je ne saurais en dire autant de ce garçon, qui depuis quelque temps me semble avoir perdu l’esprit. Et voilà donc où il en est arrivé avec ses humeurs sombres, ses absences soudaines et inexplicables, ses propos incohérens et bizarres !

Et le pauvre père pressa le paysan de questions. — De grâce, dit-il, apprenez-nous tout ce que vous savez. Dans quel corps est entré mon Benjamin ? Dans les kavas du caïmacan sans doute, puisqu’il n’y a pas de troupes en garnison dans notre province. Pourra-t-il venir nous voir souvent ? C’est un caprice sans doute, un caprice d’enfant, comme il en a eu déjà tant depuis quelques mois ; ce n’est rien de plus. Oui, je vois ce que c’est ; il s’est querellé avec sa fiancée et avec sa belle-mère. Voilà ce qui explique ce beau coup de tête. Cela ne durera pas, ajouta Mehemmedda en élevant la voix pour que les femmes, qui s’étaient éloignées à la vue de l’étranger, l’entendissent ; non, ce ne sera que l’affaire de quelques jours.

— Je crains, mon cher voisin, que cela ne soit plus long que vous ne le pensez. Il doit avoir quitté la ville ce matin. Il allait rejoindre son capitaine, qui était parti hier pour Amasia d’abord, et pour Constantinople ensuite, à ce que je crois ; car ce corps-là marche vers la Circassie, m’a-t-on dit, et il faut bien passer par Constantinople pour aller en Circassie, n’est-ce pas, voisin ?

Cette nouvelle répandit la consternation et l’inquiétude dans la maison du paysan. Benjamin était-il donc un véritable soldat, tel que ceux dont le passage à travers la vallée avait excité la curiosité, l’admiration et un secret effroi parmi les jeunes membres de la famille ? Dès le lendemain, cette incertitude fut dissipée par l’arrivée d’Athanase, qui se présenta à Mehemmedda comme l’ami intime de son jeune fils. — C’était à lui, disait le Grec, que Benjamin s’était adressé afin d’obtenir les moyens de satisfaire son goût pour le métier des armes. Après avoir vainement tenté de lui faire abandonner une résolution aussi grave et aussi pénible pour sa famille, Athanase avait consenti à se charger d’apprendre à Mehemmedda la fâcheuse résolution de Benjamin. Le Grec ajouta que le jeune homme avait été vivement recommandé par lui à ses chefs, qu’il trouverait en eux tous les égards auxquels un volontaire d’aussi bonne famille et