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marchent de cette manière lorsqu’ils ne sont pas montés ? S’il marchait autrement, ce cheval-ci ne vaudrait pas un pour cent de son prix.

— Ah ! répondit Benjamin, je l’ignorais en effet. Et croyez-vous qu’il puisse jamais engraisser ? Il a l’air tout à fait étique.

— Il engraissera un peu, mais pas beaucoup ; s’il était tout rond comme celui que vous aviez choisi, ce ne serait pas un arabe.

Benjamin allait dire que le mal ne serait pas grand, mais il se retint de peur d’offenser son susceptible protecteur, et il n’ajouta qu’une seule remarque : — Croyez-vous qu’il y voie de l’œil droit aussi bien que de l’œil gauche ?

— Pourquoi pas ? Ah ! à cause de ce reflet blanchâtre que vous apercevez dans la prunelle ? C’est le reflet de ce mur blanc qui est là en face de lui ; passez de l’autre côté, et vous verrez que le reflet blanchâtre y est également.

Benjamin fit le tour du cheval comme Athanase le lui demandait, et en levant au hasard la tête, il aperçut celui-ci tenant un mouchoir blanc de façon qu’il se réfléchît dans la prunelle du cheval comme dans un miroir. Athanase allait recommencer ses grossiers mensonges, lorsqu’il aperçut le mouvement de Benjamin. Celui-ci baissa aussitôt les yeux comme s’il eût été surpris commettant une mauvaise action. Le Grec remit précipitamment le mouchoir dans sa poche, sourit, toussa, et conclut en disant : — Il y voit à merveille, soyez-en convaincu.

Pour rien au monde, l’honnête Benjamin n’eût voulu paraître en douter ; il répondit donc : — Si vous pensez que ce cheval me convienne, et que Cyriagul consente à me le vendre, je l’achèterai volontiers.

Quoiqu’il ne s’attendît pas au choix étrange qu’Athanase venait de faire au nom de son protégé, Cyriagul ne perdit pas la tête, et demanda sur-le-champ un prix dix fois trop fort, mille piastres.

— Pouah ! s’écria Athanase d’un air de dédain ; me prenez-vous pour un enfant ? Voulez-vous vendre ce cheval, ou ne le voulez-vous pas ? Et si vous le voulez, qui donc vous le paiera mille piastres ici ?

— Je vais l’aller vendre ailleurs.

— À Constantinople par exemple, n’est-ce pas ?… Allons donc ! songez à qui vous parlez. Et le voyage, et les frais de nourriture pendant la route, et si le cheval tombe malade, car il n’est pas en bon état au moins… Oui, oui, je sais bien ce que vous allez dire, ajouta-t-il en voyant que Benjamin passait lentement la main sur les flancs haletans de la pauvre rosse ; je sais aussi bien que vous que cela tient à la courroie dont vous avez trop serré les nœuds lors de cette course que votre cheval a gagnée. — Benjamin retira sa