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on n’en voit que dans les écuries du padischah. Eh bien ! le croirez-vous, Benjamin de ma vie ? c’était le cheval de deux cent cinquante piastres ! Savez-vous combien il l’a vendu cinq jours plus tard ? Quinze mille piastres !… Et il pleurait encore en empochant l’argent. Il ne l’aurait pas vendu s’il eût osé ; mais le moyen de refuser Mahmoud-Pacha, qui voyageait précisément pour le service des écuries du sultan ? C’est ce même cheval que le sultan montait aux cérémonies du dernier baïram. Vous en ayez peut-être entendu parler ?…

Benjamin avait écouté bouche béante le récit d’Athanase. Comme tous les Turcs, il se connaissait passablement en chevaux ; mais la science des hommes lui manquait complètement. Il croyait à la véracité de tous et s’étonnait d’apprendre tant de choses nouvelles en un jour. Athanase parlait encore lorsqu’ils arrivèrent chez le marchand de grains maquignon Cyriagul. En voyant entrer son cousin accompagné d’un jeune étranger vêtu assez proprement, Cyriagul comprit tout de suite qu’Athanase lui amenait un oison à plumer.

— Nous venons voir tes chevaux, Cyriagul, commença le Grec. Mon jeune ami est connaisseur, et comme je lui ai parlé de ton rare talent et de tes magnifiques bêtes, il a désiré visiter tes écuries. Ce n’est pas qu’il ait besoin de chevaux, c’est simplement par curiosité.

Cyriagul introduisit ses hôtes dans une petite cour fort malpropre, autour de laquelle s’élevaient de petits bâtimens informes construits avec des cailloux et de la boue, recouverts de branches sèches et entrelacées. Chacun de ces petits édifices renfermait plusieurs chevaux attachés par la tête à une longue corde tendue diagonalement sur le sol, et par une jambe de derrière à un piquet. Outre ces deux attaches, chaque animal avait le pied droit de devant rivé au pied droit de derrière par une autre corde qui l’empêchait de marcher et de s’étendre. Un petit sac à moitié rempli d’orge enfermait la partie basse de la tête, et remplaçait la mangeoire. Du fumier desséché et réduit en poudre était ramassé dans un coin de l’écurie, et servait de litière pendant la nuit. L’atmosphère était étouffante, car, outre la présence des chevaux et le défaut absolu d’air, un bon feu flambait dans une cheminée construite sur une estrade en bois à l’extrémité de l’écurie, et cette estrade contenait aussi le lit du palefrenier, dont elle composait tout l’appartement.

Benjamin regarda attentivement tous ces chevaux, et pria Cyriagul d’en faire sortir quelques-uns dans la cour, où l’on pourrait les mieux examiner. Cyriagul s’empressa de le satisfaire, mais Athanase hochait doucement la tête en souriant d’un air fin, sans prononcer un mot. Aucun des chevaux choisis par Benjamin n’était remarquablement beau ; l’un d’eux cependant, quoique de race complètement turque, et non pas arabe, ni kurde, ni turcomane, avait