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VII.

Benjamin, qui avait vidé sa bourse chez le derviche, s’occupa aussitôt de trouver ce Michel au Long-Nez, chez lequel Athanase lui avait ouvert si généreusement un crédit. Il eut bientôt découvert la boutique du cordonnier et se présenta résolument au débiteur de son nouvel ami ; mais sa surprise fut grande, lorsque Michel, ayant pris connaissance du billet d’Athanase, s’écria avec une indignation que combattait pourtant une violente envie de rire : — À qui en a-t-il donc, ce fripon d’Athanase ? Moi son débiteur ! Athanase m’aurait prêté trois mille piastres ! Non, le mensonge est trop fort pour que je m’en fâche sérieusement. Moi qui vous parle, je lui ai prêté l’an dernier quinze cent cinquante piastres dont j’ai le reçu dans mon tiroir ; voilà toutes les transactions pécuniaires que nous avons eues ensemble. Comment suis-je devenu son débiteur, de son créancier que j’étais il y a cinq minutes ? C’est ce que je serais curieux d’apprendre. Non, il n’y a pas sous le ciel d’imposteur plus impudent que mon ami Athanase… Tenez, mon pauvre garçon, reprenez ce chiffon de papier, et si vous n’avez pas d’autre moyen de vous procurer de l’argent, tâchez de vous en passer. C’est tout ce que je puis vous dire.

Benjamin était demeuré bouche béante pendant ce discours. Les protestations d’Athanase résonnaient encore à ses oreilles, et il ne pouvait croire à tant de fausseté. D’ailleurs pourquoi Athanase aurait-il essayé de le tromper par une ruse aussi grossière ? Ce n’était pas Athanase qui devait toucher l’argent de Michel, et si Michel disait vrai, Athanase ne devait-il pas s’attendre à être immédiatement démasqué ? C’était là cependant une des fourberies accoutumées d’Athanase. Il débitait des contes si maladroits, si aisément controuvés, qu’on avait peine à croire qu’un homme aussi fin se flattât de les faire passer pour vrais. Lorsque l’obus éclatait, ou, pour mieux dire, lorsqu’il faisait long feu, Athanase soutenait son dire, et s’écriait : — Si j’avais voulu vous tromper, croyez-vous que je m’y fusse pris aussi maladroitement ? Il se peut que je sois un drôle, mais pour Dieu ! je ne suis pas un sot, et personne n’a jamais dit que je le fusse ! — Et ce raisonnement-là ne manquait presque jamais de produire son effet. Cette fois ce fut Benjamin lui-même qui argumenta de la sorte, et il se sentit fortifié dans sa confiance par la merveilleuse solidité de cette argumentation. Il se rappela aussi qu’Athanase avait laissé échapper quelques mots peu respectueux sur ce Michel, et le ton de protection ironique que le cordonnier avait pris en lui parlant contribua à l’indisposer contre lui. — Il y a probable-