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V. – organisation médicale, administrative et économique.

Nous avons pu décrire l’existence entier de l’aliéné à Gheel sans presque nommer de médecin, tandis qu’il est partout ailleurs le pivot des établissemens consacrés aux maladies mentales : c’est qu’à Gheel le principal rôle appartient au milieu où se déroulent les phases diverses de la maladie ; le médecin n’apparaît qu’au second plan. Longtemps même la foi religieuse dédaigna tout traitement médical ; aujourd’hui, un rôle est assigné à la science, et les règlemens ont institué un service de quatre médecins de section et d’un inspecteur. Ces médecins sont établis à Gheel et vivent ainsi au milieu de la population confiée à leurs soins. Dans une familiarité de tous les jours, ils apprennent à connaître, avec le nom et la figure de leurs cliens, leur état habituel, leurs antécédens, leurs tendances. Ils connaissent également toutes les familles des nourriciers avec leur caractère et leur conduite envers les pensionnaires, la tenue de chaque maison, et ses avantages ou ses inconvéniens. Ils n’ont pas au même degré que dans les hospices charge des âmes et des corps des aliénés ; l’extrême modicité de leurs traitemens et la nature même de leur intervention, plus souvent amicale qu’officielle, l’indiquent clairement. Une fois par semaine, le médecin doit visiter des malades de sa section ; en cas d’accident grave, il est appelé immédiatement ; en cas de guérison, il constate le résultat obtenu. Des rapports trimestriels résument les faits et les pronostics relatifs à chaque malade. Investis en même temps d’un rôle administratif, ces médecins spéciaux président à la distribution des nouveau-venus dans les familles, ordonnent les déplacemens qui paraissent utiles, surveillent les logemens et la nourriture ; ils écoutent les plaintes respectives du nourricier et de son pensionnaire, et y font droit dans la mesure de leur pouvoir. À eux seuls il appartient de sanctionner ou de réprouver les mesures de rigueur qui ont pu être prises au moment d’une crise. La camisole de force et la chaîne ne peuvent être maintenues sans leur autorisation. Avec une inépuisable et savante complaisance, ils se font les guides des familles et des visiteurs que leurs affections ou la curiosité amènent à Gheel[1]. Ils s’associent ainsi d’une manière active, avec l’autorité de leurs titres et l’indépendance de leur position, à la gestion administrative de la colonie.

Dans les cas ordinaires, il suffit peut-être de cette tutelle bienveillante, aidée des ressources pharmaceutiques, qui ne manquent pas dans la localité, pour assurer à l’aliéné le traitement le plus convenable ; mais dans les cas difficiles, qui appellent une action

  1. Nous nous plaisons à citer particulièrement M. le docteur Van Nitsen, qui nous a témoigné l’obligeance la plus empressée, lors de notre passage à Gheel.