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trait par les phénomènes variés de la vie rurale. Le regard se promène à l’aise sur ces vastes étendues légèrement accidentées quant au relief du sol, mais diversifiées d’aspect, grâce à l’alternance des champs, des prairies, des bois, des bruyères. Les émanations toniques des herbes et des sapins agissent sur le malade à son insu et le fortifient de leurs pénétrantes senteurs. Le demi-silence du jour, suivi de la tranquillité de la nuit, achève de tempérer les excitations maladives. Les sensations aiguës et les idées exaltées se réveillent-elles,… perdues au milieu de l’immensité, sans autre écho que les cris stridens des cigales ou des grillons, les violences du geste ou de la voix tombent dans le vide, et s’affaissent d’elles-mêmes faute de résistance.

À tous les points de vue, ces conditions semblent bien supérieures à la solitude oppressive et irritante non moins qu’au pêle-mêle bruyant des asiles d’aliénés. Dans ce milieu ouvert en tout sens se développent librement les affinités qui unissent l’homme et les animaux, et c’est un premier degré de l’échelle des affections, qui est loin d’être sans influence sur l’état de certains malades. Les uns s’intéressent au bétail auprès duquel ils vivent, d’autres aux oiseaux dont ils se font des compagnons. Il est à Gheel un aliéné qui ne pense qu’aux oiseaux ; nul n’est plus ingénieux que lui pour les attraper. Une fois en cage, il ne les quitte plus : il les promène de sa cellule dans la chambre de la famille, ou bien ils s’ébattent au soleil pendant que leur maître vigilant monte la garde pour les préserver de la dent des chats. Est-il douteux que ces jouissances simples et naïves n’écartent bien des tristesses, et ne puissent même aider à rétablir l’harmonie de l’âme et du corps ? Privez cet homme de la compagnie de ses oiseaux, indubitablement son état empirera.

À ce premier apaisement des agitations intimes par toutes les voix de la nature, le travail vient ajouter sa puissante diversion. Ses bienfaits sont aujourd’hui si universellement connus et proclamés, que partout où l’espace le permet, il devient une des bases du traitement. À Bicêtre, la ferme voisine de Sainte-Anne est en grande partie cultivée par une escouade d’aliénés, choisis parmi ceux qui se prêtent le mieux à la discipline du commandement et aux exercices corporels. Ce qui ne peut être ailleurs qu’un fait accidentel devient à Gheel la loi facile de tous les jours et de toutes les maisons, sans d’autre exception que l’antipathie de certains malades pour toute occupation. Il y a même ce caractère particulier et précieux, qu’ici l’aliéné travaille au milieu de gens sains d’esprit, dont tous les actes et toutes les paroles le ramènent à la raison, tandis qu’ailleurs il est entouré de ses compagnons d’infortune, qu’il retrouve les mêmes aux champs et au logis. Le chef d’escouade seul et un petit nombre de surveillans possèdent leurs facultés mentales intactes, et