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à étudier sous toutes les faces l’art difficile de diriger les volontés égarées, de redresser les idées fausses, quand elles menaçaient de devenir dangereuses, de s’emparer d’un dernier sentiment de sociabilité ou d’une dernière lueur de raison pour se mettre à l’abri des violences et des surprises. D’autre part, ne pouvant recourir à la contrainte matérielle qu’en des cas accidentels, ne pouvant compter qu’exceptionnellement sur une adhésion intelligente et réfléchie des malades, c’est surtout par l’essor des sympathies, ces vifs rayons de l’âme humaine, qui d’ordinaire survivent à l’intelligence et souvent même ne s’éteignent qu’avec la vie, que les Gheelois ont compris la tactique de leur difficile gouvernement.

Que les femmes surtout excellent dans cette diplomatie, on doit s’y attendre. À elles est dévolue la partie la plus délicate et la plus importante d’un rôle fondé sur le maniement par la douceur des caractères les plus bizarres. Simple, ignorante, laborieuse, sans vanité et sans ambition, mais bonne par nature et guidée par son cœur, la femme de Gheel accomplit des merveilles de dévouement et de sagacité. Par ses soins, qu’aucun dégoût ne rebute, elle est la providence visible des pauvres fous. Par ses ingénieux expédiens, elle prévient ou détourne les orages, en évitant de paraître intimidée. Sans titre et sans costume, elle est une vraie sœur de charité. Pour asseoir sur ses fantasques sujets un empire difficile à conquérir et difficile à garder, elle étudie les pensées intimes, observe les moindres gestes, devine les projets cachés, apprend à lire au plus profond des âmes les plus dissimulées. Il n’est pas d’incident dont elle ne profite pour s’emparer d’une volonté distraite ou bien disposée, pour conjurer une hostilité qui rumine sournoisement ses griefs. Pour dompter les plus sauvages, la jeune fille ne recule pas devant les manèges d’une innocente coquetterie. D’autres fois c’est le magnétisme impérieux du regard, de l’attitude et de la voix, qui adoucit les esprits et amollit les colères. Il n’est pas rare de voir des maniaques à taille herculéenne, capricieux ou agités, obéir à de petites femmes courbées et maigries par les ans, qui n’ont d’autres armes que quelques paroles dites avec autorité. La supériorité naturelle des femmes dans cet ordre de thérapeutique mentale en fait les meilleures auxiliaires des médecins. Mieux que les hommes, elles leur fournissent de bonne foi les renseignemens désirés, et se prêtent de bonne grâce aux réformes qu’ils prescrivent. Les novateurs qui veulent ouvrir aux femmes la carrière médicale, limitée pour elles jusqu’à ce jour à l’obstétrique, trouveraient des argumens en faveur de leur thèse dans les aptitudes manifestes des Gheeloises.

Ce n’est pas que leurs maris ou leurs pères restent étrangers à l’art de conduire les aliénés. À part le goût inné, et le devoir, et le