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seuil de ce que le monde peut supposer être une cité dolente, peuplée de malheureux. Grâce à Dieu, en y entrant, nul ne laisse à la porte aucune espérance. Loin de s’annoncer comme un enfer, Gheel semble bien plutôt le paradis et le royaume des fous. La première impression est des plus favorables. La rue principale et à peu près unique est pavée, propre, bordée de maisons blanches assez bien bâties et alignées, ouvrant pour la plupart sur la campagne par une cour ou un jardin. Au centre du bourg, sur une place plantée d’arbres, s’élève l’église paroissiale de Gheel, dédiée à saint Amand, évêque de Maastricht, apôtre de la Flandre. Sans présenter rien de remarquable pour l’art, cette église est fort richement ornée à l’intérieur. Au-delà de la place, la rue se continue assez au loin, et aboutit, après un léger coude sur la gauche, à l’église de la patronne des aliénés, sainte Dymphne. Avant d’y arriver, on a laissé à droite l’hospice de la commune.

Ces trois édifices sont les seuls monumens de Gheel ; mais si un coup d’œil rapide peut suffire pour l’église paroissiale et l’hospice, l’église de Sainte-Dymphne, mal à propos décrite sous le nom de Saint-Amand par la plupart des écrivains français, mérite une visite prolongée et attentive. L’histoire de la colonie charitable, dans son origine et ses phases, diverses, s’y trouve là tout entière, tantôt écrite ou peinte sur les murs, tantôt sculptée sur le bois ou la pierre.

D’après les archives, d’après le style de l’église, qui annonce la transition de l’art roman à l’art gothique, ce temple a été érigé au commencement du XIIe siècle. Vu de l’extérieur, il étonne par sa masse, disproportionnée, semble-t-il, avec les besoins d’un humble village tel que devait être Gheel à cette époque. Cependant il a perdu une galerie en pierre ciselée, ornée à chaque contre-fort de clochetons, de niches et de statues, qui l’entourait au dehors, et qui fut abattue en 1768, les réparations ayant été jugées trop coûteuses. À l’intérieur, les colonnes de la nef s’élancent, hautes et légères, en ogive cruciale, entourées des colonnes, moins élevées, du chœur et des chapelles des bas-côtés. L’autel principal est surchargé de lourds ornemens dans le mauvais goût du XVIIIe siècle ; néanmoins un groupe allégorique est digne de tout l’intérêt des spectateurs. Sainte Dymphne, portée sur un nuage, semble implorer la miséricorde divine pour les malheureux prosternés à ses pieds. Sur les côtés de l’autel se voient deux groupes d’aliénés dont les mains et les pieds sont liés de chaînes dorées, ces chaînes dont nous avons rencontré la première trace, sauf la dorure, dans un règlement du XVIIe siècle.

Dans une chapelle se lit, sculptée en bois, la légende de Dymphne, œuvre de patience, d’habileté manuelle et de goût, qui a fait l’admiration de David d’Angers. Derrière le chœur se trouve un tombeau