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jusqu’à la période moderne. Dans les huit mille espèces de poissons actuels, on trouve, pour employer l’expression du naturaliste suisse, une queue homocerque, formant un appareil de forme symétrique placé à l’extrémité de la colonne vertébrale : les poissons ganoïdes de la mer dévonienne, et plus tard de la mer carbonifère, avaient une queue dissymétrique ou hétérocerque, divisée en deux parties inégales par le prolongement de la colonne vertébrale. M. Agassiz fut frappé du rapport que présente la construction des poissons aux différens âges de la terre avec les variations singulières qui accompagnent le développement embryonique de chaque individu. Les embryons de certains poissons commencent en effet par avoir une queue semblable à celle des anciens ganoïdes, et ce caractère n’est pas le seul qui rappelle les poissons des premiers âges. À l’époque où le jeune sort de l’œuf, les vertèbres sont cartilagineuses, la bouche est placée transversalement au-dessous d’une tête fortement aplatie. Que l’on compare ces caractères avec ceux des poissons dévoniens, et l’on ne pourra manquer de remarquer une analogie saisissante.

Dans l’embryon actuel, la ressemblance avec les poissons primitifs n’est que passagère, et les caractères nouveaux que l’animal doit conserver pendant toute la durée de son existence se développent avec rapidité. Ces modifications, aujourd’hui renfermées dans la période éphémère de la vie embryonique, sont l’image fidèle de celles qui se sont opérées pendant la longue série des âges antérieurs à l’apparition de l’homme. Ainsi les ganoïdes à carapace osseuse ont été peu à peu remplacés dans les mers par des ganoïdes à véritables écailles ; les caractères qu’on pourrait appeler embryogéniques se sont effacés graduellement : la bouche a pris la position normale qu’elle possède dans les poissons actuels, le corps et la tête se sont allongés, la colonne vertébrale s’est ossifiée et séparée de la nageoire caudale. Enfin il ne reste plus aujourd’hui que quelques genres seulement qui n’aient point subi ces altérations, et demeurent comme les souvenirs d’un passé lointain.

En somme, l’on peut distinguer trois périodes principales dans l’histoire des poissons. Dans la première, les formes sont embryoniques ; au lieu d’épine dorsale, les poissons n’ont qu’une corde cartilagineuse. Pendant la seconde, qui commence avec l’ère jurassique et forme en quelque sorte une époque de transition, paraissent les premiers poissons homocerques, et la tête prend des formes plus effilées. Enfin avec l’époque crétacée commence l’ère des véritables poissons osseux. Cette succession forme une série parallèle au développement embryogénique des individus actuels, et il semble que la nature ait opéré lentement, pour la classe entière des poissons, le