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flotte dans l’air, et qui est dans les choses beaucoup plus que dans les livres.

Si l’on y réfléchit bien, ce qui manque aujourd’hui dans les lettres, c’est le sentiment d’un but élevé, c’est cette saine et vigoureuse sève morale faute de laquelle les forces se gaspillent, les talens se dépriment et les mœurs littéraires se corrompent. Or, quand les mœurs littéraires se corrompent, ce n’est pas seulement le signe des défaillances de l’esprit : il y a un mal social qui gagne, qui envahit, et apparaît sous une multitude de formes. Ce n’est donc pas sans raison que M. Ernest Legouvé a saisi l’un de ces vices contemporains pour le traduire sur la scène, dans une comédie représentée l’autre jour au Théâtre-Français. Cette nouvelle comédie s’appelle le Pamphlet. M. Legouvé a mis son drame en Espagne ; il lui a donné un faux air de Figaro ; il a rassemblé des personnages à qui il ne manque que d’être plus réels, et il a brodé une action dont le héros est le pamphlétaire. Ce triste héros va à travers la comédie, hautain, flagellé, quelque peu meurtri et nullement corrigé. L’auteur fait représenter le châtiment par un jeune gentilhomme ruiné qui n’a plus rien à faire qu’à s’en aller dans l’autre monde, et qui veut du moins se tranquilliser l’âme par une bonne action avant de mourir, en brûlant tout simplement la cervelle au pamphlétaire. Ce n’est pourtant qu’une menace. Le châtiment le plus efficace promis à l’écrivain qui se dévoue à ces œuvres obscures, c’est la conscience publique qui l’inflige. Le poète comique peut à son tour réveiller cette conscience et lui prêter une voix ; mais, pour féconder cette donnée, il faudrait un Aristophane, et malheureusement M. Legouvé n’est point l’auteur des Oiseaux, il n’est même pas M. Scribe, et voilà comment, avec un grand sujet, il n’a fait qu’une petite comédie, suffisamment édifiante et médiocrement amusante, qui frappe juste quelquefois sans intéresser, et après laquelle tous les poètes comiques peuvent encore venir.

La politique de l’Europe marche au milieu des embarras et des écueils visibles ou invisibles. Toutes les questions qui s’agitent au moment présent ne conduisent pas sans doute inévitablement à des conflits ; elles contribuent à développer, à entretenir une sorte de malaise qui engendre l’incertitude, et dont toutes les situations finissent par se ressentir. Que voyez-vous au nord ? Les affaires du Danemark, qui tiennent si fort à cœur à l’Allemagne et qui par l’Allemagne touchent à tout l’ordre européen, ces affaires ne tendent nullement à se simplifier ; elles se compliquent et s’obscurcissent au contraire ; elles se perdent dans ce dédale d’interventions diplomatiques et d’antagonismes intérieurs d’où il faut sans cesse dégager cette insaisissable et malheureuse question. Aujourd’hui le roi de Danemark fait un voyage dans le Jutland, et partout il reçoit des populations de ces contrées des témoignages de fidélité et de sympathie qui prennent évidemment, dans les circonstances actuelles, un certain caractère politique. En même temps les chambres du royaume proprement dit viennent de se réunir à Copenhague en l’absence du souverain, et elles ont été immédiatement saisies d’une pétition de l’association démocratique des paysans réclamant l’abrogation de la constitution commune du 2 octobre 1855. Ces faits ont un sens assez clair, venant après le résultat absolument négatif de la session récemment tenue à Itzehoe par les états provinciaux du Holstein ; ils sont une réponse à l’opposition des duchés. Telle est la situation que l’aristocratie holsteinoise s’est