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quer, ce nous semble, que si la situation des Anglais ne s’améliore pas sensiblement, elle ne s’aggrave pas, elle reste au même point, et ce fait seul constitue peut-être le progrès le plus réel. Ce n’est pas en un jour qu’une situation si subitement compromise et bouleversée par la plus foudroyante tempête peut être victorieusement raffermie. La lutte est partout aujourd’hui ; l’essentiel est que, dans ce conflit terrible entre une poignée d’hommes héroïques combattant au nom de l’Angleterre et les masses de l’insurrection^ les forces britanniques se maintiennent dans leurs positions, sans gagner sensiblement de terrain, il est vrai, mais aussi sans reculer. Or tel paraît être l’état des choses. Qu’on interroge cet ensemble de faits jusqu’à une date assez récente, qui ne remonte pas à plus d’un mois : Delhi est toujours au pouvoir des insurgés, qui harcèlent l’armée assiégeante. Le mouvement s’est étendu dans tout le royaume d’Oude, et il ne reste que la citadelle de Lucknow aux mains des Anglais, cernés de toutes parts dans ce dernier asile. Le général Havelock, l’un des hommes qui se sont le plus signalés dans cette lutte, a vainement essayé de se faire jour à travers les masses des révoltés ; il n’a pu y réussir, et il a été obligé de se replier sur Cawnpore, où il reste, en attendant que son petit corps, de moins de mille hommes, soit renforcé par l’arrivée du général Outram, qui marche à son secours. Ces trois points divers, Delhi, Lucknow, Cawnpore, attirent principalement l’attention et l’intérêt jusqu’ici. Le reste du Bengale d’ailleurs semble singulièrement troublé. La commotion est partout, et on peut dire à la rigueur que les Anglais sont tout juste maîtres du terrain que leurs soldats occupent. Quant aux deux autres présidences de Madras et de Bombay, si la fermentation est grande et universelle, elle ne s’est point traduite jusqu’ici en insurrection, ou tout au moins il n’y a eu que des soulèvemens partiels de quelques régimens natifs qui ont été désarmés, et, selon toute apparence, le désarmement prendra chaque jour de plus larges proportions. Un fait certain, c’est qu’on ne peut plus compter sur les régimens indigènes de Madras et de Bombay pour les envoyer dans le Bengale. C’est là ce qu’on peut appeler la partie toujours grave et menaçante des affaires de l’Inde. D’un autre côté, l’armée assiégeante de Delhi a été renforcée par l’arrivée du brigadier Nicholson. Le général Havelock, bien qu’obligé de rester à Cawnpore, a battu de nouveau les insurgés, et sa jonction avec le général Outram est imminente. En un mot, comme nous le disions, les Anglais se sont maintenus dans leurs positions, et par-dessus tout, ils touchent au moment où vont arriver dans l’Inde les renforts de troupes européennes expédiées par l’Angleterre. Alors la lutte s’engagera dans des conditions nouvelles, et si tous les périls ne sont point passés, si l’on n’abat pas du premier coup une armée ennemie qui compte soixante ou quatre-vingt mille hommes, du moins des opérations plus décisives pourront être entreprises, non plus seulement pour se défendre, mais pour pacifier l’Inde.

Ces événemens sont sans contredit une des plus graves et des plus pénibles épreuves qui aient été imposées à l’Angleterre depuis longtemps. Ils sont tout d’abord l’affaire de la nation britannique sans doute ; mais ils sont aussi l’affaire de tous les peuples, qui ne peuvent considérer avec indifférence cette lutte engagée entre la civilisation et la barbarie musulmane de l’Inde. Là est la vérité, là est la règle de l’opinion qu’on doit se faire de cette