Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/91

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de leur attribuer une certaine inclinaison pour qu’ils puissent se mouvoir. Veut-on savoir quelle serait l’inclinaison d’un glacier qui, partant du sommet du Mont-Blanc, irait rejoindre le Jura à 100 mètres seulement de hauteur ? Elle ne serait que de 2 degrés au plus.

On voit qu’il est difficile d’expliquer par l’extension des anciens glaciers le transport des blocs erratiques les plus éloignés de la chaîne centrale. Un géologue anglais, sir Charles Lyell, croit qu’à l’époque où les blocs aujourd’hui disséminés sur le Jura se sont détachés des sommités des Alpes, la vallée suisse comprise entre ces montagnes formait un immense golfe pareil à celui qui sépare aujourd’hui la Finlande de la Suède, et que les glaciers alpins descendaient jusqu’à la rive ; des radeaux et des montagnes de glace, traversant le golfe, allaient déposer leur fardeau de rochers sur la rive opposée. La disposition des blocs erratiques sur le Jura rend cette explication peu vraisemblable. Ceux qui sont dans le voisinage de Neuchâtel sont descendus du Mont-Blanc et du Valais, ceux de la région moyenne du Jura proviennent de l’Oberland bernois, et ceux du Jura occidental sont venus des Alpes des petits cantons. Les radeaux flottans auraient donc toujours traversé le golfe à angle droit. Or on sait que les courans ne suivent jamais une pareille direction et longent au contraire ordinairement les côtes. Le transport des matériaux erratiques s’est opéré dans la direction des vallées principales : du côté de la Suisse, ce sont les vallées du Rhône, de l’Aar, de la Reuss et de la Limmat ; du côté de la France, celles de l’Isère et de la Durance. Aussi les géologues qui ont refusé d’adopter les conclusions de M. Agassiz ont-ils admis généralement que le terrain erratique est, comme tous les autres terrains géologiques, dû à un transport opéré par les eaux en mouvement. Des torrens de boue et de limon, pareils à ceux qui se formèrent lors de la débâcle de la Dent-du-Midi, peuvent entraîner au loin des blocs très considérables sans les arrondir et sans en émousser les arêtes ; ils doivent aussi sans aucun doute exercer sur les roches qu’ils rencontrent l’action d’un burin puissant. Si, par suite d’une fusion subite, les glaciers, qui n’avancent d’ordinaire qu’avec une extrême lenteur, descendaient avec une vitesse sensible, ils auraient beaucoup plus de force qu’aujourd’hui pour polir et strier les roches.

Ce n’est pas seulement aux alentours des Alpes que se rencontrent des blocs erratiques, il s’en trouve çà et là sur une grande partie de l’Europe et de l’Amérique : de vastes accumulations, formées de gros blocs de gravier, de sable et d’argile, recouvrent, comme un manteau, toute la région boréale. Ce terrain, souvent nommé erratique, a été l’objet des études de MM. Murchison et de Verneuil en Russie, de MM. Keilhau, Forschhammer, Selfstrôm, Durocher en Scandinavie.