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Vous, déserteurs d’un Dieu pauvre et mort sur la croix,
Qu’on rencontre toujours sur l’escalier des rois, —
Près du Samaritain jamais, ni dans l’étable, —
Qui chasseriez Lazare encor de votre table,
Dans vos parcs somptueux et vos palais dorés,
Courbés sous vos honneurs, mais tristes, vous mourrez !

IV.


Eux, ils ne mouraient pas, affirme la légende,
Tant l’amour, qui faisait leur âme douce et grande.
Répandait sous leur chair un sang limpide et fort!
Ils semblaient doublement à l’abri de la mort.
Sous l’amas des hivers pourtant leurs têtes blanches
Par degrés se penchaient; neigeuses avalanches,
Leurs barbes à flocons descendaient sur leurs pieds.
Ils crurent à la fin leurs péchés expiés ;
Après tant d’oraisons, d’aumônes et de jeûnes,
Ils désiraient mourir pour ressusciter jeunes.
Alors le bon abbé, venant à leur secours.
Supplia tant le ciel de délier ses jours,
Qu’un ange descendu dans l’étroite demeure
Parla de délivrance et lui désigna l’heure, —
Ange resplendissant d’une telle beauté.
Que les yeux se fermaient, tremblans, à sa clarté.
C’était au lendemain. Or cette grande veille.
Pour celui qu’un bonheur si prochain émerveille,
Fut une effusion de grâces et d’amour.
Un cantique sans fin. — A la pointe du jour.
Faible de corps, l’abbé rassembla son chapitre.
Remit à Gwenn-Ael[1] et la crosse et la mitre,
Puis, porté dans les bras de ses religieux.
Et sur terre brillant de la splendeur des cieux.
S’avança vers l’autel, dans les mains son calice :
Prêtre, il voulait offrir un dernier sacrifice.
Là, nourri du froment consacré par sa main,
A ses frères joyeux il donne aussi le pain,
A l’extrême-onction il soumet son front pâle,
Et goûte la douceur d’un cœur pur qui s’exhale. —

V.


Ainsi, près de la mer sans borne, en cet enclos
Où prièrent les saints, où sont épars leurs os,

  1. Ange-Blanc.