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porté des prix et qui restent quelque temps exposés dans l’école, surtout les petites compositions dont je viens de parler. Elles témoignent souvent de beaucoup d’imagination de la part des auteurs, mais souvent aussi elles ont une étrangeté qui surprend et qu’on ne trouve qu’en Angleterre. Il est vrai que nous autres Français nous sommes peut-être plus sensibles que d’autres à ce défaut, parce que nous sommes habitués à une certaine régularité classique par tout ce qui nous entoure. Rien de semblable en Angleterre. Il n’y a jamais eu parmi les artistes de ce pays des classiques et des romantiques, et à notre grand scandale les professeurs font étudier à leurs élèves tantôt le Parthénon, tantôt une église gothique, voire une mosquée arabe. On s’aperçoit que l’instruction qui se donne à Kensington n’a pas un style de préférence : elle est éclectique. Sans doute tous les styles ont leurs beautés propres; mais il serait bon, ce me semble, d’apprendre de bonne heure aux jeunes gens qu’il y a des rapports nécessaires entre certaines formes, entre certains motifs d’ornemens, qu’on ne doit pas intervertir ces rapports sous peine de tomber dans le grotesque. Le clocher de Langham-Place, au bout de Regent-Street, qui présente un petit temple rond, copié sur celui de Vesta, surmonté d’une flèche aiguë, est un exemple de cette confusion ridicule. En le voyant, les partisans du style classique et du style gothique détournent la tête avec la même horreur.

Il est infiniment plus facile de signaler les erreurs de jeunes gens qui débutent que de faire remarquer toute la sage prévoyance qui a présidé à la fondation de l’établissement de Kensington. Je ne sais même pas si cette absence de tout système ne vaut pas mieux, en dernière analyse, qu’un enseignement trop exclusif comme le nôtre. S’il s’agissait de former des peintres, des sculpteurs, des architectes, la question pourrait sans doute être débattue : à Kensington, on ne vise pas si haut; on prépare à l’industrie des auxiliaires, et dans ce cas il me semble que l’éclectisme est de rigueur en matière d’enseignement. Dans mon opinion, l’artiste qui rend le plus grand service à l’industrie est celui qui raisonne le plus juste et qui a le plus d’imagination. Le raisonnement le conduit à trouver des choses utiles, à satisfaire des besoins reconnus, à en créer même, et peut-être encore à plaire à ses contemporains. L’imagination lui fournit les moyens de se concilier la faveur du despote qui règne sur l’industrie, c’est-à-dire la mode, bien plus, de le diriger. Or on ne donne pas de l’imagination, et il n’y a pas de professeur qui l’enseigne. Tout au plus peut-on l’exciter par la variété des objets qu’on lui présente. C’est justement ce que l’on fait à Kensington; de plus on meuble la mémoire. Je ne doute pas que l’élève qui a dessiné les arabesques de l’Alhambra, les frises du temple de Minerve Po-