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et l’on en couvrit les places publiques. Des hommes de génie donnèrent le branle, et toute la nation devint artiste, ou du moins acquit du discernement et du goût. Les Romains, avant de piller la Grèce, étaient des ignorans et des bourgeois, comme on s’exprime dans les ateliers. Leur consul disait à ses intendans militaires que s’ils lui cassaient une statue de Phidias, ils seraient obligés d’en fournir une autre de même marbre et de même dimension. Ces ignorans, à force de voler des chefs-d’œuvre, finirent par en comprendre le mérite, et ne les imitèrent pas trop mal.

Au reste, les exhibitions ne sont pas les seuls moyens employés pour propager le goût des arts en Angleterre, et l’enseignement pratique a pris un grand développement depuis quelques années. Il existe aujourd’hui des écoles publiques de dessin dans la plupart des villes du royaume-uni, et toutes ensemble comptent 34,000 élèves. Cette année, j’ai assisté à l’ouverture d’un établissement nouveau qui doit servir de centre et de modèle à toutes ces écoles et qui me paraît destiné à un brillant avenir. C’est l’école normale de South-Kensington. Elle s’est fondée, comme toutes les institutions de ce genre en Angleterre, par une association de particuliers. De plus, le parlement lui est venu en aide, et cette année lui a accordé une subvention de 16,000 livres sterling (400,000 francs). Observons en passant l’excellent système de l’administration anglaise. Très rarement elle alloue un fonds fixe et permanent aux établissemens qu’elle prend sous sa protection. En principe, toutes les subventions sont temporaires, et chaque renouvellement est l’occasion d’un examen critique. De la sorte, il est rare que les abus aient une longue durée, et les administrateurs sont tenus de faire des efforts constans pour mériter la faveur du gouvernement.

Le but de l’institution de South-Kensington est de relier toutes les écoles de dessin des trois royaumes à un centre commun, de former des maîtres pour ces écoles, et de répandre, par tous les moyens possibles, l’enseignement du dessin et des mathématiques. L’école de Kensington n’a pas la prétention de former des artistes; l’Académie royale des beaux-arts a cette attribution. A Kensington, on veut seulement instruire des artisans dans tout ce qu’il leur est nécessaire de savoir pour les applications si nombreuses des arts à l’industrie.

J’ai sous les yeux le règlement de l’école, qui m’a paru rédigé avec les vues les plus sages et les plus pratiques. Les élèves y sont admis moyennant une très légère rétribution. Selon beaucoup de personnes compétentes, ce système est préférable à un enseignement gratuit, attendu que d’une part les artisans, parmi lesquels surtout se recrutent les élèves, n’ont jamais une très haute opinion d’une in-