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Wailly dit avec raison: « Quand on étudie attentivement cette page de notre histoire, on reconnaît que jamais révolutions ne furent plus fréquentes, plus fertiles en crises et en réactions de toute nature, au point qu’il serait peut-être difficile de décider si le régime des assignats fut plus désastreux pour la France que les pratiques du roi Jean en matière de monnaies. » Il ne faut donc pas s’étonner si plus d’une fois l’altération des monnaies détermina des désordres publics. Sous Philippe le Bel, une émeute formidable éclata dans Paris. Le roi fut bloqué dans le Temple, et la foule empêcha un moment d’y introduire des vivres. Il fallut livrer bataille et faire des exécutions terribles.

La fausse monnaie a été sous l’ancien régime comme une peste qui a ses intermittences, et qui, alors même qu’elle ne sévit pas avec emportement, ne cesse pas de faire des ravages. De Louis XI à l’avènement de Louis XV, la diminution des monnaies se poursuivit, mais lentement, sans aucun de ces violens retours en arrière qui étaient aussi onéreux aux particuliers que l’affaiblissement des espèces. Dans cet intervalle de deux siècles et demi, la décroissance fut de 6 francs à 1 franc 25 cent.[1], et elle fut à peine interrompue par quelques réactions faibles et passagères. Le droit d’altérer les monnaies restait au nombre des prérogatives inaliénables de la couronne de France. Il y avait toute une doctrine et un corps de législation échafaudés là-dessus, et les rois ne s’en seraient dessaisis non plus que du pouvoir de guérir les écrouelles. Il y eut une recrudescence presque furieuse pendant la minorité de Louis XV, à l’époque du fameux système de Law. Je dis presque furieuse, car, à l’appui des variations arbitraires par lesquelles on faussait les monnaies, on adoptait des dispositions pénales d’une grande rigueur, qui rappelaient les ordonnances violentes de Philippe de Valois. À cette époque aussi, on recommença à augmenter et à diminuer alternativement la monnaie, en faisant succéder les variations l’une à l’autre avec une extrême rapidité, selon les besoins de la spéculation, pendant l’agonie du système. En 1720, dans un délai de quatre mois, de juin à septembre, la livre tournois valut successivement 60 c, 66 c., 74 c ., 41 c., 47 c.. et 55 c. En décembre, elle revint à 66 c. et resta fixée à ce taux jusqu’au mois de juillet 1723. Ce fut alors que dans l’espace de trois ans elle subit huit mutations qui relevèrent progressivement à 1 fr. 25 c. pour la ramener, en mai 1726, à la valeur de 1 fr. 02 c. qu’elle conserva jusqu’en 1785.

Ces observations rapides expliquent l’indignation avec laquelle la

  1. Ici comme partout, je rapporte la livre au franc, en ce sens que je compare la quantité d’argent fin qu’elle contenait à la quantité de 4 grammes 1/2 qui constitue le franc.