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altération progressive de la livre tournois, on procéda par des changemens alternatifs en sens inverse. La hausse succéda onze fois à la baisse.

Au milieu de ces saturnales de l’ignorance et de l’avidité, en même temps qu’on changeait de la manière la plus arbitraire la valeur légale de l’argent, sous quelques-uns de ces princes mal inspirés, on altéra, sans plus de vergogne ni d’intelligence, le rapport entre les deux métaux précieux. L’or valait en réalité douze fois l’argent sous saint Louis, un peu plus tard, sous Jean et ses successeurs, dix fois. On ne tenait aucun compte de cette proportion fixée par le libre cours du commerce; on y substituait un rapport imaginaire, suivant ce que l’on croyait y gagner. Ainsi dans les premières années du règne de Charles VII la proportion officielle de l’or à l’argent, au lieu d’être ce qu’elle aurait dû, de dix, fut d’environ 3 1/2. En janvier 1360 déjà, elle était abusivement fixée à moins de 4[1] ; au mois de mars, on la faisait tomber à près de 1[2], c’est-à-dire qu’on prétendait établir le pair entre les deux métaux précieux à poids égal. L’édit du 27 mars 1360 décupla du jour au lendemain la valeur de l’or.

L’autorité en outre intervenait par les menaces, par l’espionnage, par la violence sous toutes les formes, pour faire respecter ses ordonnances insensées. Non-seulement les changeurs et les orfèvres, les receveurs et les courtiers, mais aussi tous bourgeois, hôteliers, gros marchands et marchands forains, devaient prêter serment sur les Évangiles qu’ils observeraient les édits dans leurs transactions, et les feraient observer de toutes les personnes placées sous leur dépendance. Un grand nombre de ces changemens spoliateurs se faisaient publiquement; mais les particuliers ensuite s’en prévalaient, en fixant convenablement les prix, dans les marchés qu’ils avaient à passer avec le prince aussi bien qu’entre eux. Pour perpétuer le bénéfice de leur rapine, les rois donc eurent recours fréquemment aux réductions clandestines. Alors on faisait prêter serment aux maîtres et employés des monnaies de n’en rien révéler, et on les menaçait, s’ils parlaient, des peines les plus sévères. Un mandement de septembre 1351 contient ces paroles : « Gardez si chers comme avez vos honneurs qu’ilz (les changeurs) ne saichent la loi (le titre des espèces), à peine d’être déclarés pour traistres. »

Les variations des monnaies troublaient les transactions et bouleversaient toutes les existences, aussi bien parmi les pauvres que parmi les riches. Dans le mémoire que j’ai déjà cité, M. Natalis de

  1. Exactement 3 65/100e.
  2. Exactement 1 4/100e.