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pidité des princes occidentaux, surtout des rois de France, a perfectionné ce faux monnayage en quelque sorte primitif. Ils revenaient de temps en temps sur leurs pas, non par respect pour la justice, mais dans la pensée de réaliser en sens inverse, — alors par exemple qu’ils avaient à recevoir un subside extraordinaire[1], — un bénéfice égal à celui qu’ils avaient retiré de l’altération matérielle de la monnaie, ou de l’attribution d’une plus forte valeur nominale aux pièces anciennes. Le trésor ne recevant plus que pour une livre, par exemple, les pièces qui la veille s’appelaient de 2 livres, le souverain y gagnait une fois de plus le montant de la dépréciation première. L’histoire des monnaies françaises présente ainsi de fréquens exemples du relèvement de la monnaie, par un édit public, après qu’elle avait été abaissée. Si donc on voulait mesurer le dommage que la falsification des monnaies a causé à la nation, il ne faudrait pas le comparer à ce qui s’est passé en Turquie, où la piastre d’environ 5 fr. 50 cent, a été successivement abaissée à 22 centimes environ, et se borner à dire que de saint Louis à la révolution française la livre est tombée à la vingtième partie de ce qu’elle était. Il faudrait tenir compte de ce qu’elle a fait plusieurs fois le chemin qui sépare le point d’arrivée du point de départ. Dans les dix-neuf dernières années de son règne, Philippe le Bel a fait subir à la monnaie vingt-deux variations. Il laissa la livre tournois à un onzième près telle qu’elle était à son avènement, mais dans l’intervalle elle avait valu moins du tiers. Il y a eu telle époque où la livre a changé plusieurs fois dans le courant, non pas seulement d’une année, mais même d’une semaine. Cela s’est vu sous le règne du roi Jean, qui, en matière de fausse monnaie, a surpassé les méfaits mêmes de Philippe le Bel, que Dante a mis dans son enfer en lui imprimant sur le front l’épithète de faux monnayeur. Sous ce règne, rien que dans l’espace de dix ans, de 1351 à 1360, la livre tournois a changé soixante et onze fois de valeur; les années 1350 et 1360 figurent à elles seules dans ce nombre l’une pour seize et l’autre pour dix-sept mutations[2]. Le mal fut beaucoup aggravé alors par la circonstance qu’au lieu d’une

  1. En voici des exemples : « En janvier 1311, un nouvel affaiblissement des monnaies, qui dura jusqu’en septembre 1313, abaissa la livre à 13 francs 66 centimes. À ce cours succéda celui de 18 fr. 37 cent., qui fut établi au moment où devait se lever le subside extraordinaire auquel Philippe le Bel avait droit alors, selon les usages du temps, parce que son fils aîné allait être armé chevalier. Quatre ans s’étaient à peine écoulés depuis qu’un autre subside avait été exigé à l’occasion du mariage de la princesse Isabelle, et dans un temps où c’était aussi la forte monnaie qui avait cours. Le hasard n’aurait pas, deux fois de suite, si bien servi le trésor, et ce serait faire tort à la politique du temps que de la croire étrangère à de si heureuses combinaisons. » (Mémoire de M. Natalis de Wailly sur les Variations de la livre tournois, page 35.)
  2. Mémoire de M. Natalis de Wailly, p. 46.