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monétaire, ou qui en usurpe la fonction, et renchérissement des différens objets, — ne sont pas seulement connexes, inséparables; ils ne font qu’un, ce sont les deux faces différentes de la même vérité. Aujourd’hui nous essaierons de faire un pas de plus : nous examinerons la législation française, afin de déterminer quel est bien positivement dans notre système monétaire le métal étalon, et de voir si l’or a quelque droit à réclamer cette prérogative. S’il était démontré par exemple que la qualité d’étalon a été conférée à l’argent, si, d’ailleurs il apparaissait que l’invasion déréglée de l’or dans notre circulation commerciale menace de faire subir des désastres à nombre d’intérêts respectables, et que par ses conséquences elle est de nature à troubler la tranquillité de l’état, ce serait le cas d’appeler énergiquement des mesures propres à enlever à l’or les fonctions qu’il n’occuperait que comme un intrus.

Pour se faire une idée juste de ce qu’est la législation monétaire de la France, il est utile, il est même nécessaire de remonter jusqu’en 1789, et de s’y arrêter un instant pour juger de là l’ancien régime au point de vue de la constitution des monnaies.

Je suis de ceux qui croient au progrès continu pour plusieurs des aspects de la société, particulièrement pour ce qui est du domaine des sciences et des arts utiles, et aussi de l’administration, qui tient de ceux-ci et de celles-là. Je confesse cependant qu’on pourrait citer tels faits bien avérés qui concordent mal avec cette conviction, et dans le nombre l’histoire des monnaies est au premier rang.

Presque depuis la chute de l’empire romain jusqu’aux approches de la révolution française, il y a eu, au sujet des monnaies, une sorte d’éclipsé totale dans l’esprit des hommes qui occupaient le haut bout dans la politique. En cette matière, le sens commun s’était oblitéré. Dans les conseils des gouvernemens, de grossières illusions s’étaient substituées à des vérités consacrées par des traditions séculaires, et l’influence que ces déplorables conceptions avaient acquise a duré bien longtemps après qu’eurent été dissipées les épaisses ténèbres où le moyen âge avait plongé l’Europe. Vainement un penseur par qui en ce temps-là tout le monde jurait, et qui sera toujours rangé parmi les intelligences les plus vastes et les plus lumineuses qui aient paru sur la terre, Aristote, s’était exprimé, au sujet de la monnaie, dans des termes qui ne laissent plus rien à dire aux modernes[1]. L’esprit de routine, enté sur la rapacité du fisc, per-

  1. « On convint, dit-il, de donner et de recevoir une matière qui, utile par elle-même, fût aisément maniable dans les usages habituels de la vie ; ce fut du fer par exemple, de l’argent, ou telle autre substance dont on détermina d’abord la dimension et le poids, et qu’enfin, pour se délivrer des embarras de continuels mesurages, on marqua d’une empreinte particulière, signe de sa valeur. » (Aristote, Politique, liv. Ier, ch. 3, traduction de M. Barthélémy Saint-Hilaire. t. Ier, p. 53.) Les modernes, dans leurs définitions, ne font que résumer celle-ci, et disent avec lord Liverpool par exemple : — La monnaie est un instrument qui, dans les échanges, sert de commune mesure des valeurs, et par lui-même est un équivalent. — Ils insistent sur le caractère d’équivalent joint à celui de mesurée, pour indiquer que la monnaie ne peut être que d’une substance ayant sa valeur propre, étant ainsi par elle-même, attribut monétaire à part, une marchandise, et qu’elle ne passe dans les transactions que pour la valeur qu’elle possède à ce titre.