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de M. Agassiz ; mais leurs idées, qui devançaient de quelques années seulement les travaux du célèbre naturaliste, n’avaient point été confirmées par un nombre suffisant d’observations. Aussitôt que M. Agassiz fut nommé, très jeune encore, professeur d’histoire naturelle à Neuchâtel, il résolut de se vouer à l’étude des glaciers ; il s’appliqua surtout à établir la théorie des faits déjà connus, à l’appuyer non-seulement par de nombreuses et nouvelles recherches, mais par des expériences qui sont devenues justement célèbres. Le système du professeur de Neuchâtel était fait pour entraîner toutes les imaginations amoureuses de nouveauté. Aujourd’hui les glaciers ne remplissent que les vallées les plus élevées des Alpes ; ils devaient autrefois, suivant M. Agassiz, à la faveur du climat plus rigoureux qui régnait pendant l’époque qu’il a nommée glaciaire, pénétrer jusque dans les vallées les plus basses, remplir toutes les profondeurs des massifs accidentés des Alpes, et, débouchant sur l’immense vallée de la Suisse, s’étaler en vastes plateaux légèrement inclinés, dont l’extrémité allait s’appuyer sur le Jura lui-même. Ce tableau grandiose, dont rien aujourd’hui sur la terre ne saurait donner une idée même approximative, frappa tous les esprits ; on suivit avec impatience et curiosité les démonstrations de M. Agassiz. Cela même cependant n’était pas assez ? la Suisse n’est pas le seul pays où l’on trouve des blocs erratiques, sentinelles détachées de quelque montagne éloignée ; on en rencontre dans tout le nord de l’Europe et de l’Amérique. Sur un grand nombre de points, ces blocs ne sont pas isolés ; ils dominent d’ordinaire de vastes lits formés par l’accumulation de débris incohérens, qui, suivant les lieux, ont reçu des noms divers. En expliquant par l’action de courans violens la dispersion des blocs erratiques, on comprend sans peine comment tous ces matériaux d’inégale grandeur auraient été réunis ; mais M. Agassiz préféra y reconnaître les débris d’anciennes moraines pareilles à celles qui se forment autour des glaciers actuels par l’entassement de tous les matériaux qu’ils entraînent avec eux. Comme les amas erratiques du Nord recouvrent des régions immenses, quelquefois à peine ondulées, M. Agassiz en conclut qu’à une période antérieure à la nôtre, la zone polaire était le centre d’un glacier dont les branches gigantesques recouvraient les vastes plaines de l’Amérique du Nord, de l’Allemagne septentrionale et de la Russie. M. de Humboldt avait souvent fait remarquer qu’un hémisphère terrestre, présentant de l’équateur au pôle la succession de climats, de faunes et de flores variés, peut être comparé à une très haute montagne qui, de la base au sommet, offre à des distances infiniment plus rapprochées des variations analogues. M. Agassiz continua en quelque sorte cette comparaison en l’appliquant aux glaciers. Il faut