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avoir scrupuleusement constaté quelles ressources précieuses constituent pour l’état les lignes qui lui appartiennent, et quel merveilleux essor l’établissement du réseau sarde promet au commerce intérieur et extérieur, on ne peut se dissimuler que la fortune de ce pays, intéressant à tant de titres, tient à d’autres causes encore, parmi lesquelles il importe de noter en première ligne la bonne conduite de son gouvernement. Or, sans vouloir à ce sujet aborder aucun des points qui ont été déjà l’objet de discussions si complètes, qu’on me permette néanmoins quelques mots et quelques chiffres à propos des difficultés les plus graves de la politique sarde, — difficultés qui sont loin d’être résolues.

Les Piémontais ont deux patries, — le Piémont et l’Italie, — dont les intérêts peuvent être non pas opposés, mais différens, et c’est une lourde tâche que de tenir, sinon la balance égale entre eux, au moins de faire en sorte que les uns ne nuisent point aux autres. Qu’on examine par exemple l’intérêt piémontais et l’intérêt italien dans la question si épineuse de la vente des biens du clergé. A n’envisager cette question que du point de vue local, il est hors de doute que, dans les états sardes, la constitution du clergé comme propriétaire nécessitait une réforme. Le royaume de Sardaigne renfermait vingt-trois mille ecclésiastiques, sans compter les élèves des séminaires, les novices et autres religieux non ordonnés. C’était un ecclésiastique sur 214 habitans; la Belgique en compte 1 sur 600, l’Autriche 1 sur 610. Les revenus de l’église montaient à 17 millions, somme supérieure au produit de l’impôt foncier, quatre fois plus élevée que l’allocation votée en Belgique pour le clergé, inférieure de moitié à celle de la France, tandis que la population sarde est huit fois moins nombreuse que la population française, et s’élève à un chiffre à peu près égal à celui de la population belge. Aussi était-il passé en axiome que le Piémont était le paradis des prêtres. Dans ce clergé si nombreux, la répartition d’un revenu si riche présentait toutefois de grandes anomalies : les quarante prélats piémontais avaient la jouissance de 1,012,742 fr. de rente, autant que tous les prélats français ensemble, dix fois plus que les prélats belges. Même inégalité dans les paroisses; quelques-unes possédaient plus de 12,000 francs de rente, tandis que 2,540 paroisses sur 4,431 en touchaient moins de 500. Si l’on mentionne enfin au nombre des privilèges accordés au clergé la juridiction spéciale des cours épiscopales en matière civile et criminelle, le droit d’asile, l’obligation imposée au pouvoir séculier de faire exécuter les décrets ecclésiastiques, on comprendra sans peine qu’excepté dans la Savoie, province pauvre, peu industrieuse, par conséquent moins jalouse de la concentration des richesses territoriales dans les mains d’un clergé