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L’expédition partit le jour suivant. Au bout de quelques heures, le câble s’engagea dans la machine et fut brisé; on perdit quelque temps à retirer la partie déjà immergée et à la ressouder. On mit de nouveau à la voile le lendemain, et pendant quatre jours consécutifs on reçut constamment des dépêches du Niagara. Le 11 août, les signaux furent subitement interrompus : le câble s’était rompu en pleine mer. Le retour des navires, que tant de cris de joie avaient salués au départ, s’opéra au milieu d’une véritable consternation. Dans le rapport qu’il envoya immédiatement aux directeurs de la compagnie, l’ingénieur en chef raconte que la pose du câble épais destiné à la côte s’était accomplie sans difficulté. On y avait soudé le câble principal, dont le déroulement se fit d’abord avec une grande régularité. Pendant quelque temps, il descendit avec une vitesse à peu près égale à celle du navire; mais, à mesure que la profondeur de l’Océan augmentait, le déroulement devint plus rapide, et il fallut imprimer aux freins une force de résistance toujours croissante. En pleine mer, le câble se dévidait avec une vitesse de cinq nœuds à l’heure, pendant que le navire faisait seulement trois nœuds. Bientôt de nouvelles circonstances vinrent rendre l’opération encore plus difficile. Pendant que le navire avançait dans la direction de l’est à l’ouest, un puissant courant sous-marin venant du sud entraîna le câble en dehors de la ligne du vaisseau, et contribua encore à en augmenter la tension. La mer devint grosse; chaque fois qu’une vague soulevait l’arrière du navire par où le câble s’échappait, l’immense corde métallique, suspendue jusqu’au fond de l’Atlantique, éprouvait une subite et forte commotion. Quand l’extrémité du câble se trouvait ainsi relevée, M. Bright, pour affaiblir la secousse, faisait ralentir l’action du frein, et laissait à propos descendre le câble avec plus de rapidité pour contre-balancer l’effet produit par l’ascension du navire. Il avait dirigé tout le temps en personne l’opération du déroulement; un moment il fut obligé de quitter la machine pour aller à l’avant du vaisseau. A peine éloigné, il entendit tout bruit cesser; le câble s’était brisé au fond de la mer. Il est hors de doute que ce déplorable accident ne peut être attribué qu’à une inintelligente manœuvre du frein, et l’on a droit de s’étonner que, pour une entreprise aussi capitale, on n’ait pas réuni un personnel nombreux et bien exercé, et que tant de puissans intérêts soient restés en quelque sorte à la merci d’un seul homme. Il est d’autant plus permis de regretter cette imprévoyance que l’on était déjà parvenu à immerger 540 kilomètres du câble, et qu’il s’échouait régulièrement à l’effrayante profondeur de 2,000 brasses. La transmission des signaux s’opérait avec une perfection qui dépassait toutes les espérances et avec plus de facilité même que près des côtes d’Irlande; l’énorme pression qui s’exerçait sur le câble au fond de l’Océan, au lieu d’en