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faciles, voilà tout ce qu’il faut pour unir les deux bouts d’un continent; mais, avec cette intrépidité qui caractérise l’esprit scientifique et industriel moderne, on ne s’est point contenté de communiquer à la surface des terres, il a fallu traverser les mers elles-mêmes, et la télégraphie est alors entrée dans une phase nouvelle, où elle a rencontré des difficultés toutes spéciales, dont quelques-unes ne sont pas encore résolues. Les premiers essais furent timides : un câble sous-marin fut placé en 1851 dans le détroit du Pas-de-Calais, entre Douvres et le cap Sangate. Peu après, l’Angleterre posa des câbles d’Holyhead aux environs de Dublin, de Douvres à Middelkerke, près d’Ostende, du comté de Suffolk à Scheveningen, qui est aux portes de La Haye. En 1853, le Danemark établit sa communication avec l’île de Seeland par l’île de Fionie, l’Ecosse fut mise en rapports avec l’Irlande; le Zuyderzée fut traversé. Au Canada, on unissait le Nouveau-Brunswick à l’île du Prince-Edouard, dans le golfe Saint-Laurent : première étape de la grande ligne qui un jour doit relier les deux continens. On préludait ainsi à des tentatives plus hardies : la Spezzia fut bientôt jointe au cap Corse, l’île de Corse à l’île de Sardaigne, et dans la Mer-Noire le câble jeté entre Varna et Balaclava permit à l’Europe occidentale de suivre jour par jour les péripéties de la guerre. Enfin l’on essaya de compléter la communication entre l’Europe et l’Afrique, mais sans succès : le câble, qui, partant du cap Spartivento en Sardaigne, devait aboutir à la Calle en Algérie et atteindre des profondeurs de plus de 2,000 mètres, fut rompu et resta en partie au fond de la mer. Malgré cet échec, il était désormais permis de croire qu’on franchirait un jour la Méditerranée, et l’on osa même espérer que l’ancien et le Nouveau-Monde seraient bientôt réunis à travers le vaste Océan-Atlantique. L’Amérique et l’Angleterre se prirent d’enthousiasme pour cette noble tentative, et en suivirent toutes les phases avec une patriotique anxiété. On ne se borna pas à en exalter l’importance commerciale, on voulut y voir comme un gage de concorde et de paix entre deux grandes nations, qui, bien qu’armées si longtemps l’une contre l’autre et encore rivales, ne peuvent oublier qu’elles sont unies par une commune origine. La portée politique et sociale d’une entreprise sans précédent, les études pleines d’intérêt qui l’ont préparée, l’accident même qui en est venu interrompre l’exécution, tout se réunit pour justifier l’attention qu’elle excite. On nous permettra donc d’entrer avec quelque détail dans l’examen du projet de communication électrique entre les deux mondes pour faire apprécier les difficultés de tout genre qu’il a rencontrées, les raisons qui l’ont fait échouer, et celles qui autorisent à ne pas désespérer du succès.