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— Ce n’est pas possible, s’écria-t-il. Cora n’est pas mariée.

Au même instant, elle entrait chez son père avec son mari.

— Cher père, dit-elle en se jetant au cou du vieux Butterfly, je te présente mon mari bien-aimé, George, lord Aberfoïl, comte de Kilkenny, pair d’Ecosse et d’Irlande.

L’Anglais inclina la tête avec raideur.

— Au diable les lords et les comtes! s’écria Samuel avec désespoir. Ta folie nous coûte deux cent mille dollars.

— Oh! dit l’Anglais d’un air mécontent, vous ne m’aviez pas averti de cela, milady.

— Milord, répondit Cora blessée, vous ne me l’aviez pas demandé.

— Après tout, dit Aberfoïl, votre père est assez riche pour supporter cette perte, et pourvu que le chiffre de la dot n’en soit pas diminué...

À ces mots, Samuel bondit comme s’il eût été piqué d’une guêpe. — Le chiffre de la dot! Qu’entendez-vous par là, milord? Quoi! vous me faites perdre cent mille dollars, et à Cora cent mille; vous l’épousez sans mon consentement, et vous comptez sur une dot! Demandez-la à qui vous voudrez, milord, au ministre qui vous a mariés, au chemin de fer qui vous a transportés ici, au vent qui souffle, à l’eau qui coule, à la terre ou aux étoiles, mais jamais, non, je le jure, jamais de mon vivant un dollar du vieux Samuel n’entrera dans la poche des Kilkennys.

— Pardieu ! dit l’Anglais, qui reçut toute cette bordée sans s’émouvoir, j’ai fait une belle équipée. J’ai gagné mille dollars, et un beau-père qu’on pourrait faire voir pour de l’argent au British-Museum.

— Quant à toi, malheureuse enfant, cria encore plus fort le vieux Samuel, garde-toi de reparaître devant mes yeux. Je te donne ma malédiction.

À ce dernier coup, Cora accablée baissa la tête et sortit, entraînant Aberfoïl. Roquebrune et Bussy étaient demeurés spectateurs impassibles de toute cette scène. — Eh bien ! dit Bussy, doutez-vous encore, monsieur, et voulez-vous me faire l’honneur de me payer mes deux cent mille dollars ?

Au même instant entra George-Washington Butterfly. — J’en apprends de belles! s’écria-t-il; Cora se marie sans votre consentement avec un lord ruiné, et c’est M. de Roquebrune qui est le témoin du lord. Il y a là-dessous quelque intrigue infâme que ces hommes ont nouée pour manquer impunément à la parole donnée.

— Monsieur George-Washington Butterfly, dit Roquebrune, vous avez parfaitement deviné. C’est grâce à mes soins que miss Cora est