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— Sans doute, nous aurons Cora ; mais ce n’est pas tout. Croyez-vous par hasard, mon cher monsieur Butterfly, que nous voulons passer la vie à filer le parfait amour ? C’est bien assez que nous ne demandions pas de dot pour votre charmante fille ! Miss Cora est un vrai diamant ; mais entre nous sa beauté est à son apogée, et ne peut plus que décliner. Dans deux ans, elle sera presque laide… Parlons sérieusement, reprit Roquebrune. Vous avez pris la forêt de mon ami Bussy sans sa permission ; il a dans les mains de quoi vous ruiner, et il vous ruinera, soyez-en certain, si vous refusez ce que je vous propose. Vous avez une fille charmante, miss Cora, la plus belle personne de New-York, qui devrait être mariée, et qui ne l’est pas. Attend-elle un lord anglais ou un prince russe ? Je ne sais. Avant peu, elle vous retombera sur les bras. Faites une bonne affaire et une bonne action. Par bonheur, vous avez trouvé un homme de cœur, immensément riche, qui l’aime, et qui en sera aimé dès qu’elle connaîtra le chiffre de sa fortune. Cet homme est celui-là même que vous avez dépouillé, et qui peut vous ruiner. Faites-lui rendre, sinon son bien, ce qui n’est pas possible, du moins une indemnité suffisante, — quatre cent mille dollars, par exemple. Vous êtes assez puissant pour faire payer cette somme aux habitans de Scioto. Donnez-lui votre fille en mariage, ces quatre cent mille dollars seront sa dot. De cette façon, le public paiera vos dettes, et tout le monde sera content. Cet arrangement vous plaît-il ?

— Parfaitement, dit Samuel après un instant de réflexion ; mais je veux pour ma part cent mille dollars, et cent mille pour celle de Cora,

— Accordé, mais avec cette restriction que si miss Cora refuse d’épouser mon ami, Bussy recevra la somme tout entière.

— Je réponds de son consentement, répliqua Samuel, et le mariage se fera trois semaines après le paiement de l’indemnité.

Roquebrune alla retrouver son ami, et lui parla du traité qu’il avait conclu avec le vieux Butterfly.

— Ah ! malheureux, qu’as-tu fait ? s’écria Bussy. Épouser Cora ! Plutôt la mort !

— Bah ! est-ce que tu lui gardes rancune ?

— Non.

— Crains-tu le mariage ?

— Je crains la fille d’un Butterfly.

— Eh bien ! compte sur moi ; je suis homme de ressource, et tu n’épouseras qu’autant que tu voudras.

— Mais tu as engagé ma parole…

— Cora te la rendra.

— Je m’en rapporte à toi. Allons dormir.

Le lendemain, toute la ville de Scioto était mise en rumeur par