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d’années que nous avons proclamé notre indépendance, n’a cessé d’ajouter de nouvelles gloires et de nouvelles prospérités au faisceau de gloires et de prospérités que les années précédentes avaient déjà entassées sur nous. La grande république, qui baigne ses pieds dans la mer du Mexique, étend son bras droit sur le Pacifique et son bras gauche sur l’Atlantique. Des millions d’hommes peuplent aujourd’hui les solitudes que les daims seuls et les buffalos connaissaient avant l’arrivée de Walter Raleigh et de William Penn sur ces fortunés rivages. Des villes immenses s’élèvent sur le bord de ces fleuves que sillonnaient les barques des Indiens, et des chemins de fer portent d’une extrémité de l’Union à l’autre ce blé qui remplit nos greniers et que l’Europe nous envie. Mais où trouverons-nous, dans les limites de l’Union et peut-être sur la terre habitable, un pays plus aimable et plus beau que notre chère vallée du Scioto, dont la source glacée sort des entrailles profondes de la généreuse terre de l’Ohio, et arrose de ses eaux bienfaisantes, que grossit le Red-River, cette ville puissante, l’ouvrage de nos mains et l’orgueil de notre cœur? Qui a construit ces maisons dont l’architecture variée réunit toutes les beautés des monumens les plus merveilleux de l’Europe ancienne et moderne? Quel architecte, quel ingénieur a tracé ces larges rues qui se coupent à angle droit avec une admirable symétrie? Qui a réuni les prodiges de l’art à ceux de la nature en entremêlant de prairies, d’étables à porcs et de fertiles pâturages nos places publiques et nos carrefours? Qui... si ce n’est ce peuple industrieux, puissant dans les travaux de la matière comme dans les travaux de l’intelligence, qui tient d’une main également ferme la charrue et l’épée, et que les nations jalouses proclament, malgré elles, le plus grand, le plus magnanime, le plus intrépide et le plus riche du monde entier? »

Ici Samuel Butterfly s’essuya le front. Son exorde était terminé. D’immenses et unanimes applaudissemens attestèrent l’effet de sa pompeuse éloquence. Il continua :

« Qui ne croirait, citoyens, à l’éternelle durée d’une œuvre si belle? Mais les décrets de la Providence sont impénétrables. Un étranger, un Amalécite, est venu, qui a vu la gloire et la puissance du peuple d’Israël, et qui a voulu verser sur nos têtes les cendres de l’opprobre et de la désolation. Il a voulu qu’on dît de nous à l’avenir les paroles du prophète : « La ville d’Ar a été ravagée pendant la nuit, et Moab a gardé le silence; ses murs ont été détruits, et Moab est resté dans la stupeur. » Oui, citoyens, un Français a osé former l’abominable projet de nous chasser de nos maisons, de renverser notre ville, de nous dépouiller de nos biens, nous les libres enfans de l’Amérique, et de s’établir en maître dans nos foyers en disant : Cette vallée est à moi, cette ville est à moi; c’est pour