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LES BUTTERFLY
SCENES DE LA VIE AMERICAINE



Un soir du mois de mai 1849, un jeune Parisien, nommé Charles Bussy, que Paris ennuyait, mit pied à terre à l’hôtel d’Astor, à New-York. Il était jeune, de bon caractère, bien fait, vigoureux, chasseur adroit, bon cavalier ; il avait de l’esprit, du courage, de la gaieté, et par malheur aussi des dettes.

Dans les pays civilisés, le créancier n’est que la préface de l’huissier, derrière lequel on aperçoit les recors et le frais séjour de Clichy. Bussy, qui aimait le soleil, le grand air et l’aspect de l’immense Océan, partit sans attendre qu’on lui offrît un asile dans cette maison hospitalière. Il emportait le titre de propriété d’une forêt de cinq mille acres que son père avait achetée à vil prix, dix ans auparavant, dans l’Ohio. Ce père prévoyant avait deviné les instincts dissipateurs de son fils, et, par une clause expresse de son testament, il avait défendu de vendre ou d’hypothéquer avant dix ans la moindre parcelle de sa forêt. Cette précaution prise, il mourut, laissant à son fils de profonds regrets et un capital de cinq ou six cent mille francs, qui ne tarda guère à s’évaporer en fumée.

La veille de son départ, Bussy fit son inventaire. Il avait en portefeuille dix mille francs, et il en devait soixante mille. Cette découverte le fit sourire. Il pensait à sa forêt d’Amérique et se sentait plein de confiance. Tout homme a son rêve ; celui de notre héros était de devenir grand propriétaire dans le pays des Mohicans. — Je défricherai ma forêt, disait-il, j’abattrai les arbres, je construirai des maisons, j’y mettrai des Allemands, des Irlandais ou des nègres, et