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ses prédécesseurs, comme les Flamands, comme Paul Véronèse, dans les scènes religieuses, l’imitation exacte du costume contemporain; je ne blâme pas non plus cette liberté conventionnelle, qui s’est établie, de mettre tous les accessoires des figures sous la forme jugée la plus pittoresque, sans qu’on s’astreignît servilement à la chronologie ou à la vraisemblance des mœurs, des armes, de l’architecture et des vêtemens. L’art n’a jamais trop de ressources, et d’ailleurs les sujets sacrés ont pour ainsi dire une double face, comme l’Écriture, qui a un sens littéral et un sens figuré. Ils se composent d’une scène souvent réelle, dont les données positives, fournies par la tradition, ne peuvent être altérées, et d’une pensée morale ou métaphysique, qui est de tous les temps, et que, par des dehors symboliques ou des conceptions arbitraires, on peut rendre plus saisissante et plus poétique, ou seulement plus accessible aux goûts et aux intelligences d’un pays ou d’une époque. Il se peut même que le convenu en ce genre aille jusqu’à l’impossible, et ne choque pas. Ainsi une foule de tableaux, et des meilleurs, représentent la Vierge sur un trône, avec son enfant dans ses bras. Le trône est dans un palais, il est richement orné, et la madone, quelquefois couronnée, porte les vêtemens, les broderies, les joyaux d’une princesse. Toute cette parure ne peut être qu’un symbole du titre que lui donne l’église de reine des cieux. Or ce titre appartient à la Jérusalem céleste, et, dans cette sphère surnaturelle, le Christ triomphant ne peut plus être l’enfant au berceau, dans toute la faiblesse apparente de l’humanité. La Vierge ne peut avoir un enfant dans ses bras qu’autant qu’elle est sur la terre, et qu’humble, pure et pieuse mère, elle traîne, au milieu des périls et des angoisses de ce monde, sa modeste et douloureuse existence, Encore moins saint Jérôme et saint Augustin, saint Sébastien et saint Roch, saint François d’Assise et saint Charles Borromée peuvent-ils être rangés autour de l’enfant divin. Cet anachronisme grossier indique que de pareils tableaux représentent de saintes visions, et appartiennent en peinture au genre symbolique, lequel est loin, du reste, d’être défavorable au développement des ressources de l’art. Il semble cependant qu’on doit admettre avec plus de scrupule l’application de ce système conventionnel aux sujets vraiment historiques. On aurait dû mettre plus de réserve dans cet emploi de la fiction au milieu des images des faits positifs, et plus ces faits sont récens et nationaux, plus il en coûte de les voir affublés d’un costume de fantaisie et entremêlés avec un merveilleux imaginaire ou de capricieuses allégories. On ne voudrait pas interdire absolument de mettre un héros du moyen âge ou de la renaissance en empereur romain, ni proscrire la Justice ou la Victoire des plafonds où l’on célèbre un gouvernement ou un guerrier.