Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/74

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui s’approchèrent le plus de la vérité en cette matière, comme par exemple Mirabeau, furent sans cesse retenus ou dévoyés, tantôt par leurs propres passions, tantôt par les préjugés des partis, tantôt par les nécessités de la révolution. On peut dire que cette seule idée de la responsabilité bien comprise, non-seulement épargnait à nos constitutions les plus graves erreurs qui les déparent, mais encore supprimait une bonne portion des fautes et des méfaits de l’esprit révolutionnaire. S’il eût été possible que dès le premier jour les grands esprits se rendissent bien compte de la première condition d’un libre gouvernement, que dès le premier jour (supposition plus chimérique encore) l’opinion entrât de plein saut dans ces distinctions légales qui sont comme le droit des gens de la guerre constitutionnelle, la lice où se mesuraient les partis fût devenue un champ clos ; leur lutte aurait été une joute au lieu d’une guerre civile, et l’on n’aurait pas contracté la fatale habitude de recourir à la violence pour résoudre tous les problèmes, de ne savoir rien changer que par la voie du renversement. Malheureusement, pas plus les ennemis de la révolution que ses amis n’étaient dans l’origine disposés à considérer ainsi les conflits dans lesquels les événemens les avaient engagés. Au fond, le roi lui-même, malgré son désintéressement personnel, voyait un sacrilège dans toute suppression de ses prérogatives séculaires, et le parti national tenait pour des conspirateurs les adversaires de ses idées ou de ses intérêts. Tous les esprits étaient donc à l’état révolutionnaire, tous regardaient la force plutôt comme la prima que comme l’ultima ratio du droit. Tous croyaient légitime de punir les vaincus ; mais quelques-uns voulaient les anéantir, d’autres leur pardonner. Une noble élite, plus éclairée et plus généreuse, s’élevait au-dessus des passions qu’elle partageait toutefois, et tôt ou tard l’assemblée constituante revenait à la justice. Duport et Barnave finissaient comme Lafayette et La Rochefoucauld avaient commencé. Cependant, lorsqu’il s’agissait de législation politique, les plus sages et les plus habiles de ces nobles libérateurs de l’humanité hésitaient à pleinement comprendre que tout le secret de la liberté politique fût dans une organisation qui permît à la raison nationale d’enlever ou de décerner, en connaissance de cause, le pouvoir aux plus dignes, et qui leur fît une nécessité de l’exercer dans l’intérêt et avec l’appui du public.

Ce qu’eux-mêmes n’avaient pas vu pleinement devait entièrement échapper aux assemblées qui vinrent ensuite. Par elle-même, la république est, jusqu’à nouvel ordre, moins propre que la monarchie à bien régler ce point fondamental, car la constitution du pouvoir exécutif est encore dans la république un problème non résolu. D’ailleurs les passions révolutionnaires, en s’aggravant, en montant jusqu’à