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ressort du Corrège. Aussi est-il plus lui-même dans sa Déposition de la Croix. On se sent ému en regardant le Christ et les saintes femmes. Le talent de peindre est déjà grand; mais tout s’efface devant la fresque détachée du fond du chœur de l’église Saint-Jean. Que l’on en regarde l’original, placé, je ne sais pourquoi, à la bibliothèque, ou l’excellente copie d’Annibal Carrache qui se voit au musée : on ne peut se lasser d’admirer cette Vierge, les yeux au ciel, les mains croisées sur sa poitrine, contemplant l’objet du divin amour avec toute l’ardeur de la tendresse et de l’espérance. Il est impossible de donner une idée du charme romanesque de cette figure, sorte de Greuze colossal, si l’on me passe la comparaison, ayant toute la passion et tout le charme qu’on peut rêver, avec une certaine élévation qui permet de placer cette tête au fond d’un sanctuaire. Tout n’est pas ascétisme dans cette expression sans doute; mais l’amour divin ne parle pas toujours un langage purement spiritualiste, et il y a des paroles de sainte Thérèse qui ressemblent à ce regard-là.

Je me répéterais, si j’essayais de décrire la Madonna della Scala, une autre fresque que le Corrège avait faite tout simplement pour décorer une porte de la ville. Des têtes de chérubins ou d’enfans, copiées par Louis Carrache, offrent des beautés du même ordre. La collection des dessins coloriés de M. Toschi forme à elle seule une galerie spéciale où le talent du Corrège se montre sous un nouveau jour et découvre aux élèves et aux critiques les trésors d’effet qu’il a su se créer par la hardiesse du dessin et la puissance du coloris. Enfin deux cabinets séparés, disposition qui honore le goût de l’ordonnateur du musée, nous offrent chacun un nouveau chef-d’œuvre, la Vierge à l’Échelle et le Saint Jérôme. Le premier tableau est une Fuite ou plutôt un Repos en Égypte. Tandis que Joseph cueille un fruit de dattier, la Vierge, qui tient la scodella, où elle semble avoir puisé de l’eau, sourit à l’enfant qui lui sourit. Les attitudes ne sont pas très simples, et il y a dans l’expression des têtes, surtout du petit Jésus, un peu de finesse et de mignardise. Ce n’est pas le sublime bambino de la Vierge à la Chaise, mais c’est un tableau d’un charme surprenant.

On sait que le Saint Jérôme, ce tableau dont Parme voulait nous payer la rançon un million de francs, est une sainte famille. Le profil d’un grand vieillard nu, appuyé contre le cadre, lui a valu son nom. La figure d’un ange, la tête de la Vierge, une jeune fille qui semble se coucher sur elle, ou plutôt sur son fils, pour l’embrasser, sont de toute beauté. L’enfant, à qui l’ange présente un livre, y regarde avec un air d’intelligence, d’espièglerie maligne même, et par suite un peu vulgaire. Grâce à la couleur éclatante de ce tableau