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die. Il est encore plus vrai que le sublime en peinture ne peut être subordonné à un tout dont il fait partie, et que, dans un ensemble monumental, une décoration pittoresque vaut mieux qu’un tableau exquis.

Ainsi du reste paraissent penser les administrations italiennes, qui partout visent à rassembler les chefs-d’œuvre dans les musées. Pour admirer même la peinture religieuse de l’école vénitienne, dites à votre gondolier de vous conduire à l’Académie des Beaux-Arts. Ne dussiez-vous voir de ce beau musée que la salle de l’Assunta, vous vous réjouiriez d’être venu à Venise.

Il faut d’abord traverser un joli salon dont le riche plafond mérite d’être regardé, et qui vous prépare, par une assez précieuse collection de tableaux des premiers temps, à sentir mieux, à mieux admirer la peinture de la grande époque; mais une fois dans la vaste salle de l’Assunta, je voudrais obtenir de vous de détourner d’abord vos yeux de cette merveille sans les laisser distraire par la magnificence du local et de vous faire conduire devant une certaine Visitation de sainte Elisabeth. Vous verrez un tableau gracieux et encore naïf, peint avec mollesse, composé avec plus de simplicité que de talent, et d’une couleur agréable. Les figures y sont bien posées, les attitudes naturelles; rien toutefois n’est animé ni saillant. La Vierge est un peu vulgaire et bouffie. Rien ne s’élève à la beauté, rien n’est désagréable. Le sujet se comprend, et le tableau plaît sans donner à penser. C’est l’ouvrage d’un artiste peut-être peu profond et peu original, mais qui déjà sait peindre; c’est le premier ouvrage de Titien; on a prétendu qu’il l’avait fait à quatorze ans. Mettons quatre ans de plus, il lui serait resté encore quatre-vingts ans pour se perfectionner dans son art. Venez maintenant et regardez cette Déposition de Croix. Le tableau est triste, le coloris terne, l’exécution sans vigueur; mais il règne dans toute la composition une juste harmonie et comme une expression tragique. La Madeleine, debout, émue, effarée, semble crier au monde et le prendre à témoin. C’est le dernier tableau de Titien, terminé respectueusement par Palma le jeune : Quod Titianus inchoatum reliquit Palma reverenter absolvit Deoque dicavit opus. Titien avait donc quatre-vingt-dix-neuf ans (c’est l’âge où il mourut) lorsqu’il ébaucha cette toile. C’est entre ces deux ouvrages, séparés par seize lustres de travaux, qu’il faut suivre le cours brillant du talent inépuisable et infatigable de l’homme peut-être le plus puissamment organisé pour la peinture que les temps modernes aient produit.

Nous sommes libres maintenant de porter nos regards sur le tableau qui donne son nom à cette salle du musée. Je lis dans une lettre du président De Brosses : « Aux Frari', l’Assomption de la Vierge, Titien. Ouvrage admirable, mais mal soigné, fort noirci,